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Parcours et remous

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Parcours et remous

Crédit photo Lauriane Gaud
La baisse d’intérêt pour les métiers du social, déjà effective depuis plusieurs années, est encore avivée par le dispositif Parcoursup, l’évolution des épreuves de sélection et la crise sanitaire. Confrontés aux réalités du terrain, un nombre croissant d’étudiants stoppent leur formation en cours de route.

À l’exception de ceux qui écoperont d’examens de rattrapage, la grande majorité des étudiants en travail social décrocheront leurs diplômes dans quelques semaines ou obtiendront le droit de continuer leurs cursus pour l’année universitaire à venir. Quant aux écoles, elles planchent déjà ou entérinent le recrutement de leurs futurs élèves. Et force est de constater qu’elles peinent à remplir leurs bancs ou, plus précisément, à sélectionner des étudiants dont elles sont sûres qu’ils iront au bout de leur démarche de formation. La baisse d’attractivité des diplômes du travail social n’est pas en soi un phénomène nouveau. L’effectif total d’étudiants inscrits en formation de travail social a considérablement baissé ces dernières années : moins 17 % entre 2010 et 2020, et même moins 4 % entre 2019 et 2020.

Même si le dispositif ne peut-être le seul facteur à retenir pour expliquer cette tendance à la baisse, la mise en place de Parcoursup en 2018 joue un rôle dans l’explication de ce dernier chiffre. Car ce nouveau mode de demande d’inscription en filières post-bac a engendré un très grand nombre de candidatures avant que le soufflé ne retombe. Concernant les cinq diplômes d’Etat en travail social de grade licence (niveau II) – assistant de service social (DEASS), conseiller en économie sociale et familiale (DECESF), éducateur spécialisé (DEES), éducateur technique spécialisé (DEETS) et éducateur de jeunes enfants (DEEJE) –, la majorité des structures de formation constatent une baisse d’un tiers environ des vœux formulés par comparaison avec l’année passée.

Une importante diminution des vœux, donc, mais aussi un nombre d’arrêts en cours de formation plus élevé qu’auparavant. « Certains bacheliers n’avaient même pas connaissance de l’existence de nos métiers, donc, bien entendu, Parcoursup a élargi l’éventail des possibles en matière de candidats, explique Marc Rousseau, directeur général adjoint d’Askoria, en Bretagne. Mais nous avons reçu de futurs étudiants dont les projets paraissaient moins travaillés, même s’il est très compliqué de généraliser l’analyse. » La question de la motivation joue d’autant plus que les « nouveaux » diplômes (les promotions concernées ont débuté leur parcours en 2018) impliquent une charge de travail extrêmement lourde pour les étudiants comme pour les formateurs. En effet, un grand nombre de certifications supplémentaires sont imposées, dont les centres de formation ont la charge, et non plus l’Etat. La sélection est donc devenue plus difficile à mener pour s’assurer que le parcours qui débute sera suivi jusqu’au bout.

L’écriture mise à mal

S’il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises candidatures, Catherine Roulhac, directrice pédagogique de l’IRTS Montrouge-Neuilly-sur-Marne (Ile-de-France), constate un point faible commun aux promotions recrutées depuis 2018 : la rédaction. « Avec Parcoursup, il n’y a plus d’épreuve écrite d’admissibilité. Or la capacité rédactionnelle est un facteur déterminant pour un étudiant qui se destine aux métiers du travail social, car vous ne pouvez pas écrire à un juge comme vous écririez une carte postale. Et certains jeunes se retrouvent très en difficulté dans ce domaine. » Et de poursuivre : « La crise sanitaire n’a pas arrangé les choses en empêchant la tenue de l’oral d’admission deux années de suite. Or l’apprentissage du travail social implique une certaine maturité qui se détecte lors de cette épreuve qui dure plus de trente minutes. Ce moment d’échange permet d’observer tout ce qui est infraverbal, mais aussi l’expression de certaines valeurs comme l’humilité, le respect, la capacité à appliquer la fameuse “juste distance”. Autant de qualités qui relèvent du savoir-être, très important dans des métiers très exigeants où l’on se trouve confronté à l’autre, et plus encore, à l’autre en difficulté. »

Bien avant Parcoursup, les formations s’interrompaient à l’issue des premiers stages. Souvent découpés en périodes de deux mois par les structures encadrantes afin que les ESSMS n’aient pas de gratifications à verser, ils sont difficiles à trouver : « Accueillir un stagiaire ou un apprenti, c’est lui consacrer du temps et de la disponibilité. Or, quand on est dans une équipe avec de nombreux postes vacants, tout se complique. Cette situation crée un cercle vicieux. Les établissements accueillent moins de stagiaires et, in fine, ils peinent ensuite à recruter parce que moins d’étudiants sont formés et expérimentés », analyse Annie Léculée, membre de la commission nationale paritaire de l’emploi et de la formation (voir interview page 9).

Une dure réalité

D’autre part, ces stages (totalisant par exemple plus de 2 100 heures en trois ans pour le diplôme d’éducateur spécialisé) sont facteurs de désillusion pour des élèves qui peuvent avoir choisi leur formation en quelques clics et, surtout, avoir opté pour un parcours en ayant à l’esprit une représentation très approximative de la réalité du terrain professionnel.

« J’ai eu la chance d’arriver au sein d’un dispositif particulier, très intéressant, dans le Cantal, raconte Rémi, éducateur depuis quatre ans. Des jeunes considérés comme incasables étaient accueillis dans un dispositif mêlant hébergement et AEMO [action éducative en milieu ouvert], certains en foyers, d’autres en studios. J’ai été très bien accompagné, pas à pas, par l’équipe qui les suivait. Le plus frustrant a été de ne pas être suffisamment outillé, après seulement un mois et demi d’enseignement. L’accompagnement dont j’ai bénéficié m’a permis d’appréhender la situation. Mais, lorsque je me suis senti opérationnel, il était déjà temps de partir. Le stage était trop court. La véritable désillusion a été le travail partenarial, le constat des dysfonctionnements de l’ASE [aide sociale à l’enfance], les freins administratifs et financiers, les lacunes liées à une politique gestionnaire, le manque de ressources. »

Pour Mathieu Gilbert, directeur Etsup, le métier d’ASS souffre d’une méconnaissance du terrain : « Dans l’imaginaire collectif, la profession d’assistant de service social est associée à des dossiers administratifs, aux politiques sociales, et les débouchés de la formation sont mal connus. Un bachelier n’imagine pas qu’il existe des ASS chez Hermès, par exemple, où les employés souffrent de maladies de peau induites par le contact prolongé avec le cuir, ou chez Air France, où les horaires de travail et les absences du personnel navigant sur longs courriers créent des déséquilibres familiaux, des problèmes de couple. De même des ASS travaillent pour la présidence de la République. »

Dès lors, que faire pour rendre plus attractives les formations aux métiers du travail social ? Comment améliorer le renouvellement des équipes ? Une priorité devenue compliquée par le manque de jeunes professionnels et par le départ d’autres personnels, usés par la réduction d’effectifs, la basse rémunération et la « perte de sens » si souvent déplorée par les travailleurs sociaux.

« Il y a un paradoxe, estime Marc Rousseau, entre les institutions professionnelles et des jeunesses (au pluriel, car les étudiants sont différents chaque année) qui, d’une part, sont en quête de sens, ont envie de s’engager dans des métiers dans lesquels la relation à l’autre est au cœur du geste professionnel et sont animées par un véritable intérêt pour les questions de sociétés, et qui, d’autre part, accusent le coup de la désillusion sur la pratique. Ce qui est très singulier, me semble-t-il, ce sont les étudiants ASS qui souhaitent se réorienter vers le cursus ES. Nous avons une réflexion à mener car nous ne leur proposons aucune passerelle. Nous les obligeons à bachoter, en quelque sorte, pour obtenir des certifications sans qu’ils puissent en user en cas de réorientation. Un peu comme d’autres préparent khâgne ou hypokhâgne sans pouvoir rejoindre l’ENA. Pourquoi ne pas imaginer des formations plus généralistes, qui permettraient d’aller sur le terrain avec une connaissance précise de plusieurs pathologies, problématiques et populations, pour ensuite se spécialiser ? »

Ce n’est pas Annie Léculée qui le contredirait : « Je pense qu’il faut réactiver l’alternance au sens intrinsèque du mot. C’est-à-dire revivifier les va-et-vient entre la théorie et la pratique, entre le centre de formation et le terrain professionnel. Et aujourd’hui, ce n’est pas l’université et la double diplomation qui permet cela. Je ne le crois pas. La véritable question est de donner du sens, depuis la pratique, aux actions qui sont menées dans le cadre des prises en charge ? De plus en plus, les professionnels sont pris dans des protocoles et doivent remplir des dossiers… Où est le sens pour eux ? Où est l’attractivité ? C’est toute cette force de la clinique de relation à l’autre qu’il faut redécouvrir et réaffirmer. Par ce qu’elle, elle est attractive. »

Marc Rousseau se risque à aller encore plus loin : « Il y a peut-être une révolution à imaginer car, quoi qu’il en soit, le vieillissement de la population obligera à former des professionnels à d’autres spécialités comme la santé, physique et mentale, que nous ne faisons qu’effleurer dans les formations actuelles. Nous risquons d’y être contraints car nous ne pourrons pas à moyen terme couvrir l’ensemble du secteur social et médico-social. Et qu’il faut bien admettre qu’à 18 ans on ne peut être déterminé au point de choisir entre des spécialités aussi différentes que l’autisme, les pathologies liées au vieillissement et le handicap moteur. Cette question fait penser à revenir aux humanités et au choix de mieux comprendre le monde plutôt que de connaître par cœur des éléments de politique sociale, sachant que celle-ci évolue très vite. Vaut-il mieux comprendre les enjeux d’une politique sociale ou maîtriser ses textes ? »

De la théorie à la clinique

Mêler étroitement des matières intrinsèques à la clinique telles que la philosophie, la psychologie et la sociologie est le pari qu’a pris l’IRTS Montrouge-Neuilly-sur-Marne, en co-construisant avec l’université Paris-Est Créteil (Upec) une licence intitulée « sciences de l’éducation – parcours travail social ». Sa particularité est justement d’ajouter un enseignement universitaire au référentiel des diplômes d’Etat. Cette licence, créée il y a un an et dont les premiers étudiants finalisent juste leur première année, ne bénéficie que d’une trop courte expérience pour livrer des conclusions tangibles. Pour l’instant, sur 300 étudiants, une trentaine ont choisi de quitter cet enseignement. Un chiffre qui rejoint les résultats communs à la plupart des écoles de formation. « L’avantage est que l’enseignement universitaire s’est adapté à nous, détaille Catherine Roulhac. Y compris physiquement. » Ainsi, pour obtenir une double diplomation (DE et DU), les étudiants ne sont pas obligés de courir dans les transports pour se rendre des amphis de l’Upec à ceux de l’IRTS, et inversement. Ce sont les enseignants qui viennent à eux. Une mesure, on l’imagine bien, qui économise leur énergie et leur permet de la consacrer aux enseignements.

L’avantage de cette filière semble résider en un Y. Rien à voir avec le chromosome, mais plutôt à un parcours qui permet deux possibilités : « Nous y retrouvons un tronc commun et deux branches, détaille, très enthousiaste, Catherine Roulac. Ces deux branches permettent de se diriger, pour l’une, directement sur le terrain et d’exercer, et, pour l’autre, d’aller vers un Master. »

La question se pose, tant il est vrai que nul ne ressort indemne d’avoir tissé une relation humaine. Et qu’il serait dommage d’empêcher quiconque de se réorienter pour aller peut-être construire différemment de nouvelles aventures humaines.

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