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« Le secteur social doit être un véritable lieu d’accueil pour les étudiants

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Déconnexion avec le terrain, évolution du profil des formateurs, cursus davantage universitaires… Spécialiste de la formation en travail social, Annie Léculée revient sur les changements opérés ces dernières années et insiste sur l’importance d’assumer les enjeux de la relation à l’autre
D’un point de vue historique, quelles évolutions observez-vous chez les étudiants en travail social ?

Les modes d’accès à la sélection et le déroulement des formations sont très différents de ce que l’on observait auparavant dans la structuration des certifications et des métiers. L’introduction de Parcoursup a considérablement modifié les modalités de sélection des établissements. Paradoxalement, elle a donné de la visibilité aux formations du travail social et les a démocratisées auprès des étudiants post-bac. Mais, dans le même temps, la plateforme entraîne un recrutement d’étudiants qui présentent une méconnaissance du secteur et, notamment, du terrain. Ils se heurtent à la réalité lorsqu’ils se retrouvent en immersion professionnelle. A leur arrivée en stage, après quelques mois de formation théorique, leurs représentations sont télescopées avec la vie des institutions du médico-social. Certains étudiants abandonnent la formation à ce moment-là. On reçoit beaucoup de retours des centres de formation sur ce phénomène.

Les premières promotions de diplômés ayant connu la réforme de 2018 ont vu le jour en 2021. Quel regard portez-vous sur ce changement ?

L’objectif d’un socle commun entre les formations d’éducateur spécialisé, d’assistant social, d’éducateur de jeunes enfants et d’éducateur technique spécialisé dans le but de créer « une culture commune propre à favoriser la coopération et la complémentarité » de ces différents métiers était louable. Mais, à mon sens, le problème que l’on observe est corrélé au rapprochement avec l’université. Il y a davantage de cours magistraux en amphithéâtre accueillant des centaines d’étudiants. Cependant, en modifiant la structure du parcours de formation, on a perdu la notion d’accompagnement singulier caractéristique du travail social. L’encadrement des étudiants est essentiel pour la qualité de la formation. Auparavant, les instituts régionaux du travail social (IRTS) étaient des référents de parcours. Les formateurs se rendaient en visite de stage et possédaient une réelle connaissance des spécificités pédagogiques de telle ou telle association. Les profils des encadrants ont également changé. Avant la réforme et le passage de convention avec l’université, il y avait obligation que les professionnels, qui étaient formateurs permanents dans le centre de formation, soient certifiés d’un niveau Master. On retrouvait beaucoup de profils que l’on nomme « enseignants chercheurs ». Les formateurs possédaient un diplôme d’Etat d’ingénierie sociale (DEIS) ou d’un autre cursus en travail social, et maintenaient des liens avec les terrains d’accueil professionnels. Ils y avaient exercé ou exerçaient encore.

Pourquoi n’est-ce plus le cas ?

A l’époque, l’Unifaf [fonds d’assurance formation de la branche sanitaire, sociale et médico-sociale privée à but non lucratif] et l’Opca [organisme paritaire collecteur agréé] accompagnaient beaucoup les centres pour conduire et encadrer la formation des formateurs. Il y avait une réflexion autour du tutorat, des sites qualifiants et de l’accueil des apprenants. Toutes ces adaptations ont perdu de leur pragmatisme aujourd’hui. Cette certification plus universitaire a peut-être éloigné tout le monde du terrain. Il faut des professionnels qui, dès l’entrée en formation, veulent assumer les enjeux de la relation à l’autre. Or, en remplaçant la sélection par Parcoursup, on accueille des jeunes qui n’ont aucune idée du métier. Pour autant, je ne pense pas que les travailleurs sociaux soient moins bons ou moins bien formés qu’auparavant. On sait très bien que la professionnalité se construit et se poursuit au fil d’une carrière. En revanche, ce qui est excessivement important pour favoriser la réussite des étudiants, c’est le portage institutionnel et les situations apprenantes, que l’on a un peu délaissé à mon avis. La question de la clinique éducative – à laquelle je suis très attachée – est un défi à retrouver dans le cadre de la formation.

L’attractivité des métiers se pose plus que jamais. Cette situation de « pénurie » est-elle inédite ?

La baisse d’attractivité du travail social est à la confluence de plusieurs facteurs. Tout d’abord, la baisse de considération générale du grand public à l’égard de ces métiers est en lien avec la crise sanitaire. S’il y a une certitude, c’est que la pandémie, n’a pas été aidante pour les secteurs de la santé, du social, du médico-social, et en général pour tous les métiers du « care ». L’épidémie de Covid-19 a accentué la pénibilité et la difficulté de ces métiers, mais elle les a aussi exposés aux yeux de l’opinion publique. Ainsi, des jeunes qui auraient pu présenter des capacités initiales à « avoir envie de », si essentielles aux métiers du soin et de la relation, sont aujourd’hui plus frileux à se lancer dans cette voie. Par ailleurs, dans les établissements et les centres de formation, de nombreuses pratiques managériales se répandent et vont à l’encontre de la relation éducative. Elles estompent la quête de sens et génèrent de la désillusion chez les professionnels. Cette réalité arrive aux oreilles des étudiants et les freine à s’inscrire dans cette voie. On peut observer ces interactions dans les groupes sur les réseaux sociaux et dans les commentaires que les travailleurs sociaux font de leur quotidien au travail. La perte de sens est générale, il y a des démissions importantes et beaucoup de personnes quittent la branche. C’est un problème de fidélisation. Tout le monde se sent un peu coupable en interne. La « pénurie » va s’accentuer dans les dix ans à venir, principalement à cause des départs à la retraite. Si aucune mesure corrective n’est rapidement apportée, on va manquer de professionnels pour accompagner les publics, et ce, quel que soit le champ d’intervention.

Quels sont les leviers qu’il serait possible d’actionner pour recréer l’envie ?

Les tensions du travail social sont à la fois internes et externes au secteur. Récemment, à la télévision, j’ai vu passer des spots publicitaires du gouvernement qui font la promotion du métier d’éducateur ainsi que d’autres métiers du « care ». Il y a tout un foisonnement autour du soin et du social, notamment avec le Ségur de la santé. Le livre vert du travail social, sorti en mars dernier, fait des propositions pour améliorer la situation. La question de la revalorisation salariale est essentielle. Les partenaires sociaux doivent se concentrer aussi sur les trois niveaux essentiels que sont les politiques de formation, l’accueil des étudiants et l’étayage des équipes sur le terrain. Si l’on ne se penche pas profondément sur ces questions, alors le secteur risque d’affronter une « hémorragie, avec des départs de plus en plus nombreux. Le monde associatif doit faire vivre la démocratie administrative et les professionnels doivent se sentir soutenus et entendus pour élaborer des perspectives.

La formation en alternance peut-elle constituer une alternative ?

Pour un renouvellement efficient des générations de travailleurs sociaux, le secteur doit faire en sorte d’être un véritable lieu d’accueil pour les étudiants. La hausse du nombre de jeunes en alternance est un point positif. On va dépasser les 10 000 apprentis en travail social, c’est inédit. Des dispositifs de reconversion existent également qui vont amener des personnes vers des certifications. C’est, par exemple, le cas d’opérations avec des grands groupes qui vont essayer de former des aides-soignants car le secteur des Ehpad en manque cruellement. Il n’existe pas qu’un levier à actionner, il faut une convergence d’actions internes à la branche combinée à des apports externes comme l’augmentation des salaires.

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