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Ressources (in)humaines

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Sept ans passés dans ce petit centre hospitalier de périphérie. De remplace­ment en remplacement, puis de CDD en CDD. Les contrats s’enchaînent, de plus en plus longs, avec la promesse d’un CDI, un jour. Elle aime ce service à taille humaine, les patients qui vont et qui reviennent, l’équipe solidaire. Jusqu’au cataclysme, inattendu, brutal. Fermeture de lits. En une semaine il faut recaser soignants et patients, et tout ce petit monde se retrouve éparpillé à droite, à gauche. Nouveau service, nouvelle équipe, nouvelle fiche de poste, elle a tout à réapprendre, elle se trompe, tout va trop vite, elle fait pourtant de son mieux, elle s’applique, mais les mots jetés à la volée dans son petit carnet n’ont plus de sens, elle se perd dans les couloirs, confond les collègues, se mélange dans les plannings. Elle panique, pleure, se reprend, panique encore, et finit par craquer. « Epuisement professionnel », lui dit son médecin en signant son arrêt à une semaine de son renouvellement. Il n’y aura pas de nouveau contrat. Après sept ans, au revoir Madame, vous n’êtes visiblement pas faite pour ce métier, trop fragile peut-être.

Elle tient la caisse depuis l’ouverture, ou plutôt c’est la caisse qui la tient. Il est bientôt midi et elle enchaîne les Sbam à une cadence effrénée. Sbam ? Sourire. Bonjour. Au revoir. Merci. Elle a mal aux épaules, aux poignets, au dos. Elle rêve de prendre cinq petites minutes, pour s’étirer, prendre l’air, aller aux toilettes. Mais la file de clients ne tarit pas, sa vessie va exploser avant le troisième Caddie ! Elle tente sa chance auprès de l’hôtesse de zone. « Finis d’abord ta file, il y a trop de monde et personne pour te remplacer, tes collègues non plus n’ont pas pris de pause. » Et bim, prends ça, bam, ses yeux se brouillent, boum, la bouteille d’huile explosée… Bim, bam, boum et sbam !

« Si tu ne travailles pas bien à l’école, tu finiras comme la dame. » La très chic mère de famille ne l’a même pas regardée quand elle a asséné cette menace à sa non moins chic petite fille. Précieux escarpins et adorables chaussures vernies claquent sur le sol des toilettes de la gare pendant qu’elle reste là, interdite. Elle aimerait leur courir après, répondre à l’inconnue hautaine que ça n’a rien à voir, que la vie n’est pas toujours une bonne note, que la politesse n’est visiblement pas corrélée à la condition sociale… Mais elle se tait, ramasse le pourboire négligemment jeté et reprend son travail. A quoi bon ? Dans quelques minutes, elles seront loin, dans un train en partance pour les vacances, et elle restera là, dans cette gare qui ne la mène nulle part.

« Vous êtes trop sensible, il faut s’endurcir un peu… comme moi », lui a dit le manager avec ses petits yeux graveleux.

Trois femmes, trois métiers, trois vies. Et pour ces trois récits, combien d’autres tus et disparus dans les méandres des ressources (in)humaines ?

La minute de Flo

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