Depuis des mois, l’association Shanti se démène sur les campements d’exilés à Calais pour apporter des pauses dans le difficile quotidien des personnes qui survivent sur le littoral. A l’automne, Anaïs et Ludovic avaient organisé avec plusieurs classes de collège et lycée de la région un atelier de fabrication de cerfs-volants avec des tentes lacérées par les équipes de nettoyage accompagnant les policiers lors des expulsions. Sophie, l’une des enseignantes qui avait participé au projet, a décidé, il y a quelques mois, de lancer un atelier d’expression artistique, toutes les deux semaines, à l’accueil de jour du Secours catholique.
« Beaucoup d’associations travaillent ici dans l’urgence du quotidien. Avec Shanti, on voulait changer un peu la donne et permettre d’apporter autre chose aux personnes qui survivent ici », entame l’enseignante. Entre ces murs qui accueillent chaque jour près de 600 personnes, elle a fourni des crayons, des feutres, de grandes feuilles de papier… tout le matériel nécessaire au dessin. L’été dernier, une première exposition avait été organisée à Calais, sur les panneaux d’affichage libre de la ville. Une présentation éphémère que les visiteurs pouvaient suivre au gré de leurs balades et à l’aide d’un QR code. « Il est important de mettre en valeur le travail des exilés et de faire le lien avec la population locale. Cette exposition représentait un pont entre ces deux mondes », détaille l’enseignante.
Après ce coup d’essai, Sophie et l’association démarchent des commerces, bars et restaurants de Calais afin de prolonger l’expérience. Plusieurs refusent : à Calais, il n’est pas toujours bien vu de donner de la visibilité aux personnes exilées et certains commerçants craignent des représailles de la mairie. Manon, serveuse au bar La Betterave et militante associative, elle, s’est tout de suite enjouée. Son patron, Loïc, est connu pour héberger des évènements solidaires : il accepte tout de suite. Pendant plusieurs semaines, les portraits dessinés au Secours catholique prennent donc place, encadrés, sur les murs du bistrot. Certains ressemblent à des dessins d’enfants, d’autres sont très réalistes. « C’était agréable de mettre en relation des personnes plus douées que d’autres pour qu’elles apprennent les unes des autres, par exemple sur le contour d’un œil ou le dessin d’une bouche », se félicite Sophie. Le jour de l’ouverture de l’exposition, fin mars, Hassan, l’un des dessinateurs du petit groupe d’artistes, l’accompagne. La discussion s’engage avec des habitants, le pari est réussi. L’art et le dialogue ont eu raison des peurs et des préjugés.