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« Il faut entendre les voix des personnes concernées »

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Auteure du livre « Expérience du handicap et de la sexualité – Entendre, comprendre pour penser et agir », Jennifer Fournier a recueilli la parole de personnes en situation de handicap et de professionnels de terrain sur l’intimité et la vie affective. Pour en conclure que la dépendance flirte parfois avec la domination.
Lors de l’enquête menée pour rédiger votre ouvrage, quel regard portaient les résidents sur les questions d’intimité ?

Ces personnes partagent des aspirations tout à fait ordinaires : rencontrer quelqu’un, vivre une grande histoire d’amour, éventuellement se marier, avoir des enfants… Mais elles se confrontent à des difficultés spécifiques. D’abord, la déficience motrice. Elles tiennent un discours très capacitaire et infériorisant à leur égard, qui intègre les normes sociales selon lesquelles les corps valides seraient supérieurs aux corps handicapés. Dans un deuxième temps, elles racontent comment la vie en établissement entrave leur possibilité d’avoir des expériences intimes, amoureuses, sexuelles. Elles soulignent leur difficulté à contrôler leur existence : elles ne choisissent pas l’heure à laquelle elles se lèvent, qui les accompagne, le nombre de douches qu’elles prennent… Elles évoquent des relations avec des professionnels de très grande qualité, des liens très humanisants qui se tissent. Mais elles rapportent aussi parfois des propos inappropriés à leur encontre. Elles préfèrent souvent ne rien dire et ne rien réclamer de peur de froisser ceux dont elles dépendent.

Et du côté des professionnels ?

Un certain nombre d’entre eux a conscience de la nécessité de prendre en compte cette dimension de la vie affective. Mais ils la ramènent souvent à la notion de « besoin », comme si l’intimité, la vie amoureuse et la sexualité se résumaient à cela. Ils deviennent des pourvoyeurs de solutions. Une pratique qui ne prête pas vraiment à l’échange et qui les met parfois dans des situations difficiles, en les plaçant constamment dans la position de ceux qui répondent. Ce système ne fonctionne pas à long terme. On est face à une interprétation déformée des réalités de vie, qui ne se fait qu’au prisme du handicap ou de la déficience. Avant d’entreprendre ma recherche, je pensais que cette façon de percevoir les personnes handicapées était l’apanage des personnes très éloignées de ce milieu. Mais j’ai été surprise de constater que c’était également celle des professionnels qui les accompagnent au quotidien, lesquels se retrouvent en situation de compenser les difficultés en lien direct avec le handicap et la dépendance. Ils travaillent dans un cadre structuré et politique sur lequel ils n’ont pas toujours prise. Par ailleurs, ils ne peuvent pas être les seuls à porter ce sujet. Les gestionnaires d’établissement, les directeurs doivent aussi se mobiliser.

Comment les pratiques peuvent-elles évoluer ?

Quand la dépendance des personnes accompagnées n’est pas réfléchie, discutée, le rapport de dépendance se transforme bien souvent en rapport de domination. La question de la formation initiale et continue est centrale. Tout comme la possibilité, pour les résidents de créer des collectifs. Il faut entendre les voix des personnes concernées, ce qu’elles éprouvent face à certaines pratiques très déshumanisantes. On peut, par exemple, mettre en place des groupes de parole. Mais si, en parallèle, aucune règle ne permet d’avoir un peu d’intimité, de recevoir quelqu’un la nuit, d’expérimenter, les maltraitances resteront criantes. Les associations continuent souvent de penser à la place des personnes qu’elles accompagnent. On n’est toujours pas sorti du paradigme où l’on agit pour elles plutôt que d’essayer de faire avec elles et à partir de ce qu’elles ont à dire. D’autant que, souvent, les établissements gestionnaires ont des intérêts qui divergent de leur public. A travers des solutions toutes faites, on risque de passer à côté de l’essentiel, à savoir les conditions de vie. Malgré la loi de 2002 sur les droits des usagers, l’intimité des personnes accueillies n’est pas toujours respectée. Les mentalités et les pratiques évoluent trop doucement. Il faut passer des déclarations aux actions.

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