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Enfants de l’ASE : malaise dans les chambres

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Alors qu’à l’adolescence le droit à l’intimité devient une revendication, la vie privée des jeunes placés est souvent mise à mal. Par manque de formation, les professionnels se trouvent souvent démunis. Certains prennent néanmoins cette question à bras le corps.

Educatrice spécialisée, ayant longtemps travaillé en protection de l’enfance, Elsa Pelerin, est catégorique : « La question de l’intimité constitue un véritable impensé institutionnel. Et elle se pose dès l’enfance, avant même l’adolescence ». Car chez les enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance (ASE), les enquêtes préalables au placement constituent déjà une intrusion : accès à leur histoire familiale, aux dysfonctionnements intra-familiaux, aux maltraitances ou négligences dont ils ont été victimes… En foyer, leur sphère intime continue d’être prise d’assaut par les autres enfants ou les professionnels. « Les enfants qui souffrent de troubles énurétiques, par exemple, partagent leur chambre. Les autres enfants ont donc accès à cette information », prévient l’éducatrice. Le nombre élevé d’éducateurs dans la gestion du quotidien (toilette, habillage, apprentissage de l’autonomie…) est aussi une entrave.

L’extimité, c’est-à-dire le désir de donner à voir à un tiers une partie de son intimité, une notion définie par le psychiatre Serge Tisseron, est dans ces cas-là forcée. « Cela peut engendrer des conduites à risque à l’adolescence ou des déviances sexuelles, car les interdits ou la pudeur n’auront pas été acquis dès l’enfance », explique Elsa Pellerin, qui souligne n’avoir reçu aucun enseignement sur ces questions lors de sa formation initiale. A chaque professionnel de s’adapter : toujours frapper à la porte avant d’entrer dans une chambre, ne pas accompagner les adolescents à la douche, ne pas les voir nus, leur demander l’autorisation avant d’intervenir sur leur corps, ne pas ranger leur chambre, ne pas divulguer de données personnelles aux autres professionnels de la structure… Des comportements qui relèvent du bon sens mais qui sont trop rarement mis en œuvre. Pour l’éducatrice spécialisée, « il ne faut pas partir du principe que le corps de l’enfant nous appartient au nom des actes éducatifs ». Les sous-effectifs compliquent encore la donne, obligeant les éducateurs à dissoudre l’individualité des jeunes dans la prise en charge du groupe.

Depuis 2016, l’institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (Itep) L’Eclaircie, qui accueille en Seine-Maritime des jeunes âgés de 6 à 20 ans, a totalement révisé son fonctionnement. Désormais, les chambres sont individuelles et un grand projet de rénovation doit prochainement être lancé, pour que chacune bénéficie de sa salle de bains. Les éducateurs spécialisés sont aussi passés à deux pour six jeunes, au lieu de douze auparavant. « Cela a nettement fait descendre le niveau de tension et de violence chez les jeunes comme chez les adultes », se félicite Florent Barthélémy, le directeur. C’est une série d’événements violents (viols, agressions…) autant que le malaise des professionnels qui l’ont incité à engager une réflexion, autour de la sexualité des adolescents particulièrement : « Les éducateurs craignent d’être accusés de défaut de surveillance, avant même de se demander si l’acte sexuel en question a été consenti ou non. »

L’urgence d’une Formation

Florent Barthélémy a mis en place des formations, en collaboration avec des associations militantes (Aides, MSF, Mouvement de libération des femmes, etc.), plutôt qu’avec des organismes de formation. « Pour que la sexualité ne soit pas considérée uniquement sous l’angle psychopathologique », précise-t-il. L’année prochaine, le Planning familial viendra aussi dispenser des cours et malgré les réticences spontanées, les pratiques changent petit à petit. « Les jeunes que l’on accueille souffrent de troubles du comportement, alors les questions d’exhibition, d’intimité et d’inhibition prennent beaucoup de place. Avant, quand un adolescent parlait de son intimité et de sa sexualité, l’éducateur l’envoyait voir l’infirmière ou le psychologue. Maintenant, il se permet d’aborder le sujet directement », note le directeur. Bertrand Blanchard, ancien éducateur spécialisé reconverti dans la formation sur la sexualité des adolescents via l’association Holisme, insiste, lui, sur l’urgence d’intégrer une formation dans le cursus des étudiants en travail social : « En poste, il faut qu’ils soient capables de faire réfléchir sur la sexualité au sens large et d’aborder les notions de “respect de l’autre”, de “respect de soi”, de “consentement”… Il y a souvent une gêne des éducateurs à aborder ces sujets. Il faut leur donner des outils pratiques, explique-t-il. Ce n’est pas compliqué à mettre en place mais il faut que cette mission soit donnée aux équipes par les établissements et que les institutions appliquent cette feuille de route. » Une demande clairement formulée dans le rapport de la mission « La parole aux enfants », remis en début d’année à Adrien Taquet, secrétaire d’Etat chargé de l’enfance et des familles.

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