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Les petits cailloux

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Les gestes de la soignante sont rapides et précis. Le gant, le savon, la serviette, le rasoir, le peigne… Elle va et vient prestement autour du résident, et les objets du quotidien virevoltent entre ses mains. Elle aimerait prendre le temps mais elle ne l’a pas. Elle fait vite, comme tous les jours, mais elle a cette douceur experte de celle qui connaît par cœur les gestes nécessaires. Question d’habitude.

Le résident est propre, changé, habillé, rasé, coiffé. Il est prêt à déjeuner et elle est prête à partir. Mais elle n’oublie pas le petit détail. Avant de sortir de la chambre, elle ouvre en grand les rideaux et tourne le lit face à la baie vitrée. Dehors, il y a le grand jardin, puis la rue, les passants et les voitures. Et surtout, dehors, il y a le bus qui s’arrête et qui repart, déversant son flot de voyageurs. Dans quelques heures, il verra sa fille en descendre, faire un petit signe de la main en direction de sa fenêtre, passer le petit portillon du jardin, puis disparaître de sa vue pour réapparaître quelques minutes plus tard sur le seuil de sa chambre.

Le patient est agité. Il s’énerve, claque les portes, tape du pied. Il voudrait, il aimerait… Quoi ? On ne sait pas vraiment, parce qu’il ne parle plus, seulement quelques bribes de mots qu’il répète en boucle depuis des années, toujours les mêmes.

Il s’agite et les autres s’agitent, il crie et les autres crient. Alors la soignante va chercher son téléphone, dans son sac, dans la salle de repos. Dans la galerie du portable, une multitude de cabrioles de chats.

« Ooooh ! regardez ce petit chaton mignon qui a peur de son ombre ! Et celui-là qui joue avec une plume… » La soignante fait défiler les vidéos attendrissantes, le patient est captivé, il s’amuse d’une galipette et s’émerveille d’une frimousse. Il touche l’écran comme il toucherait un petit chat fragile, tout doucement. Il ne crie plus, il rit de bon cœur, et la soignante aussi.

L’ambulance est arrivée. La patiente est anxieuse, encore un examen.

L’accompagnatrice lui ouvre la portière : « Après vous, Madame ! » La dame sourit, lui rend la politesse. « Le service est impeccable », répond-elle en riant. Et c’est l’escalade de minauderies surjouées, compliments obséquieux et petit doigt en l’air…

« Vous prendrez bien une tasse de thé après votre promenade en carrosse, n’oubliez pas votre ombrelle pour le soleil ! » Tout le monde rit de bon cœur aux joyeuses badineries des deux femmes, rendues complices le temps d’un trajet. Le voyage devient plaisant, quelques minutes de légèreté glanées au hasard d’une journée pesante.

Ce sont ces moments qui me font aimer mon métier. Ces petits gestes gratuits qui n’entrent dans aucun logiciel. On ne cote pas un rideau ouvert, une vidéo de chat, une conversation anodine. On ne s’attarde pas sur ces choses légères dans les lourds dossiers de soins. Et pourtant, comme des petits cailloux délicatement déposés çà et là sur le chemin, ces petits riens sont autant de petits soins qui font du bien.

La minute de Flo

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