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Le long périple de la justice restaurative

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Déjà mise en œuvre et éprouvée au Canada, en Belgique et ailleurs comme alternative à une justice uniquement punitive, la justice réparatrice ou restaurative peine à trouver ses marques dans l’Hexagone.

“Qu’est-ce que la justice restaurative ? Beaucoup de définitions circulent dans le monde sur cette philosophie et cette pratique. Il s’agit d’une rencontre entre victime, auteur et société ou communauté, avec l’aide, dans la plupart des situations, d’un tiers indépendant et neutre. Ses objectifs étant la réparation de la victime, la prise de conscience de l’auteur et la recherche et le maintien de la paix sociale(1). Or la rumeur court que le ministère de la Justice ne financera plus grand-chose pour continuer son introduction dans la société française, malgré les efforts considérables de ses salariés et d’autres personnes concernées. Il est difficile pour les protagonistes et défenseurs de la justice restaurative d’ouvrir le débat : ils dépendent de l’argent donné par le ministère de la Justice ou des subventions versées pour faire avancer le projet. Nous, à l’association citoyenne Question de justice, organisme de formation qui agit depuis dix ans dans le domaine public, ne recevons quasiment pas de subventions(2).

Je souhaite donner quelques éléments de compréhension du possible échec. Et, tout d’abord, le fait que cet article se fonde en totalité sur mon expérience personnelle. En 2006, j’ai créé une première association (Elargir le cercle, le démocratiser, le pluraliser) qui n’a pas eu le succès escompté. En mars 2012, avec un groupe de soutien, nous avons créé Question de justice, dans le but d’introduire des pratiques de justice réparatrice en France. Depuis 2005, je suis en relation avec des collègues européens et américains et ai encadré dernièrement deux ateliers autour du thème de la honte pour le Kempe Center, grand hôpital pour enfants du Colorado, qui organise annuellement un colloque international auquel participent environ 3 000 personnes du monde entier.

Malheureusement nous ne trouvons pratiquement pas de Français parmi ces visiteurs, comme c’est le cas lors des rencontres européennes. C’est le premier obstacle à l’introduction des pratiques de justice restaurative : le manque de maîtrise de la langue anglaise, provoquant un retard de lecture de la littérature et des recherches, une absence dans les débats et donc dans l’inspiration nécessaire pour porter un courant nouveau dans la société.

Un deuxième obstacle d’ordre général sera le sentiment que nourrissent les Français d’être différents des autres peuples. Cette conviction a probablement mené à l’idée de devoir développer nous-mêmes, “made in France”, des pratiques de mise en place de la justice restaurative. Au lieu de commencer tout simplement par celles expérimentées ailleurs, entre autres au Canada et en Belgique(3), une toute nouvelle pratique est apparue.

Introduction en France

D’ailleurs, comment la justice restaurative a-t-elle fait son entrée en France ? Retraçons l’histoire :

• en 2008, les Nations unies publient un manuel sur les programmes de la justice réparatrice(4) ;

• le 25 octobre 2012, le Parlement et le Conseil de l’Union européenne publient la directive concernant les droits des victimes, où l’expression “justice réparatrice” apparaît(5) ;

• en 2013, l’Institut français pour la justice restaurative est créé et le criminologue Robert Cario, son fondateur, est entendu lors de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive ;

• le 15 août 2014, la loi sur l’individualisation des peines stipule que victime et auteur ont le droit de se voir proposer une mesure de justice restaurative.

Notons qu’après la conférence de consensus des 14 et 15 février 2013, Christiane Taubira, ministre de la Justice, avait changé de vocabulaire, remplaçant le terme “réparatrice” qu’elle utilisait après son voyage d’études au Canada (réparer la blessure et les liens entre la victime, l’auteur et la société) par “restaurative”, un mot qui peut prêter à confusion.

La loi elle-même comporte une singularité qui a pu contribuer à créer un obstacle : la mesure de justice restaurative existe seulement en complément de la justice pénale. Comme il est écrit dans la page d’introduction de la circulaire du 15 mars 2017 : “La mesure n’aura pas de conséquence sur le déroulement de la procédure judiciaire qui s’exerce en parallèle”(6).

Cela veut dire que chaque effort fait peser un poids de plus sur les finances du ministère de la Justice. Etant déjà l’un des budgets les plus bas de l’Europe, comment penser que cela pourra fonctionner ? Regardons la Nouvelle-Zélande ou, plus proche d’ici, l’Irlande du Nord : le juge prend en compte les résultats de la mesure avant son verdict. Le travail des personnes est valorisé aussi par l’autorité judiciaire, au lieu d’être en quelque sorte négligé.

Et pour ne pas oublier notre propre terrain de travail, pourquoi avoir organisé cela hermétiquement fermé aux autres domaines de la vie ? En voyage au Canada, tout le monde savait que la mesure restauratrice trouvait son essor dans le travail communautaire, dans les quartiers. L’Education nationale en parlait depuis plus longtemps. Dans un point d’étape de son ministre, Vincent Peillon, il était écrit en 2011 : “Revoir l’application des régimes de punitions et de sanctions pour permettre une justice réparatrice.” En 2014, le ministère de l’Education nationale publiait un “guide en milieu scolaire pour une justice préventive et restaurative dans les collèges et lycées”, qui est toujours en vigueur. On a essayé de développer la pratique restaurative à part de la société au lieu de le faire avec elle. Comment celle-ci peut-elle alors faire partie de notre société ?

Actuellement, un repli s’opère sur les possibilités d’Internet pour sensibiliser et mettre en œuvre des dispositifs de justice restaurative. Le ministère a publié un guide méthodologique et le terrain fait tout pour apporter sa pierre à l’édifice.

En essayant de mettre le doigt sur ce qui a peut-être été “mal fait”, je me dois aussi de donner quelques idées pour y remédier :

• choisir quelques pratiques dont l’efficacité a été prouvée ailleurs et les mettre en œuvre ;

• soutenir les essais dans d’autres domaines que celui de la justice ;

• faire traduire régulièrement des textes, des manuels, des rapports de l’anglais au français ;

• – investir dans les pratiques de justice restaurative au niveau sociétal, dans les quartiers, les mairies, les clubs sportifs et associations comme des établissements pour enfants, adultes, et – pourquoi pas ? – les Ehpad. Des épargnes y apparaîtront plus vite dont le monde judiciaire pourrait s’inspirer.

La philosophie et la pratique de la justice restaurative sont nécessaires à notre société. Pour conclure mon plaidoyer et lui donner plus de poids, je traduis quelques lignes de l’association Just Us, centre de pratiques restauratives aux Etats-Unis(7) : “La justice restaurative est utilisée pour résoudre les conflits et réparer les préjudices, tandis que la pratique restaurative est une éthique sous-jacente qui construit et maintient des relations saines. En d’autres termes, la justice restaurative est ce que vous faites, tandis que la pratique restaurative est ce que vous êtes. » Tout un programme pour apprendre à vivre ensemble !

Notes

(1) Voir l’entretien avec Robert Cario dans les ASH n° 3243 du 21-01-22, p. 13.

(2) Hormis deux subventions de 10 000 € de la part de la Fondation de France et de M6 sur trois ans, nous nous autofinançons avec les revenus des formations.

(3) « La justice restaurative en droit comparé » – Virginie Jeanpierre – Groupe Rhône-Alpes de criminologie clinique (nov. 2015) – https://bit.ly/3KdW9tu.

Pour débattre : redactionash@info6tm.com

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