Nous sommes des pions posés sur un échiquier géant. Et le gouvernement ne comprend pas qu’on n’en peut plus », lâche Séverine Fourrier, accompagnante d’élèves en situation de handicap (AESH) dans un collège d’Alfortville, dans le Val-de-Marne. Pour vivre, la jeune femme doit se suffire d’un temps partiel imposé à 57 % du Smic, soit 738 € par mois, pour 21 heures de travail par semaine. Dans les autres départements, la situation des AESH – qui sont des femmes dans plus de 9 cas sur 10 – n’est pas tellement plus enviable. Leur rémunération atteint en moyenne 62 % du Smic. « Ma nièce est porteuse d’un handicap, reprend Séverine Fourrier. C’est en pensant à elle que j’ai souhaité faire ce métier, il y a six ans. » Pour joindre les deux bouts, elle travaille également à la cantine et au centre de loisirs, et fait quelques heures de ménage.
Alors quand elle a reçu, au mois de septembre, un avenant à son contrat de travail lui imposant de travailler une heure de plus sans rémunération supplémentaire, et de dépendre d’un pôle inclusif d’accompagnement localisé (Pial), géré par un coordinateur pouvant la faire travailler dans une dizaine d’établissements si nécessaire, elle a refusé de le signer. Comme les 1 600 autres AESH du Val-de-Marne, qui sont en grève illimitée depuis le 10 janvier.
Dans une lettre au président de la République envoyée en février, elles réclament le retrait de cet avenant, l’abandon des Pial et la limitation des affectations à deux établissements au maximum. Elles revendiquent également un statut de fonctionnaire, un salaire réel à temps plein, ainsi qu’une « véritable » formation, la leur ne durant actuellement que 60 heures. Sans évolution de leur situation, elles estiment que plus du quart d’entre elles démissionnera d’ici la fin de l’année.
« Une caisse intersolidarité abondée par les parents et les enseignants les aide à tenir, explique Luc Bénizeau membre du syndicat Snudi-FO et directeur d’école élémentaire à Villejuif. L’expérience montre que le suivi d’un enfant se fait souvent sur plusieurs mois voire plusieurs années, ce qui permet une confiance, une continuité. Les AESH ne sont pas des bouche-trous que l’on peut balader d’un établissement à l’autre parce qu’on en manque, faute de pouvoir leur offrir des conditions suffisamment dignes ! »
D’après une étude réalisée cette année par le syndicat SNUipp-FSU, qui regroupe des enseignants et des accompagnants (voir encadré page 8), seul un AESH sur cinq a le sentiment que son activité est perçue comme un véritable métier. Pour Guislaine David, porte-parole du syndicat, « cette fonction à part entière est très importante dans les écoles aujourd’hui, mais pas suffisamment reconnue par l’institution. Les AESH doivent non seulement être mieux rémunérés et formés, pour sortir de leur situation de précarité, mais aussi faire partie intégrante des équipes pédagogiques, pour bénéficier de leur regard complémentaire sur les élèves. »
Pourtant, depuis les premiers auxiliaires de vie scolaire (AVS) des années 2000, embauchés sous « contrat emploi jeune » pour « faire d’une pierre deux coups », en proposant un emploi utile à des personnes peu qualifiées, le statut des accompagnants a très lentement progressé. Prenant appui sur la loi du 11 février 2005 sur le handicap et l’accessibilité, celle sur l’école inclusive du 8 juillet 2013, et sur le rapport « Komitès » d’avril de la même année soulignant la nécessité de créer un diplôme et un statut, un « métier d’AESH » est créé en 2014, avec une formation dédiée – le diplôme d’Etat d’accompagnement éducatif et social (DEAES), spécialité accompagnement à l’éducation inclusive et à la vie ordinaire –, mais très limitée et dont le financement n’est pas assuré.
Aujourd’hui contractuels de l’Education nationale, les AESH peuvent prétendre à un contrat à durée indéterminée après deux contrats à durée déterminée de trois ans. « Un processus d’institutionnalisation est donc engagé mais il est très lent et part de très loin », décrypte Dominique Momiron, ex-inspecteur de l’Education nationale et spécialiste de l’inclusion scolaire. « Il reste encore trop peu satisfaisant du point de vue du temps partiel imposé, de la rémunération, de la formation et des conditions de travail, alors même que ce métier est très exigeant socialement et psychologiquement. »
En effet, les AESH accompagnent, sous la responsabilité pédagogique de l’enseignant, un ou plusieurs élèves en situation de handicap pour permettre leur accès aux apprentissages, à la vie sociale, et favoriser leur autonomie. Ils interviennent au titre de l’aide humaine individuelle (un seul enfant), mutualisée (plusieurs élèves simultanément ou successivement), ou collective (en classe spécialisée type unité localisée pour l’inclusion scolaire (Ulis). Or, pour répondre à l’augmentation des besoins, l’aide mutualisée est devenue plus fréquente. La majorité des AESH suit aujourd’hui un à trois enfants. Mais une minorité, de plus en plus importante, peut accompagner jusqu’à cinq à six enfants par semaine, dans le cadre de l’aide mutualisée, ce qu’elles vivent difficilement.
En outre, depuis la rentrée 2020-2021, la gestion départementale des affectations et emplois du temps des AESH a laissé place à une échelle plus locale, pour être « au plus près des besoins des enfants et adolescents ». Les Pial, pôles inclusifs d’accompagnement localisé sont des regroupements plus ou moins importants d’établissement scolaires, dans lesquels les AESH d’un secteur peuvent intervenir (voir page 10). Une évolution très mal perçue pour 57 % des accompagnants d’après lesquels l’affectation sur Pial aurait contribué à dégrader leurs conditions de travail. Seuls 6 % y voient au contraire une amélioration, et un tiers juge que cela n’a pas eu d’effet.
Parallèlement à ce mouvement de défense de leurs intérêts professionnels, le manque d’AESH reste une question récurrente à chaque rentrée scolaire, et ce malgré l’augmentation exponentielle de leurs effectifs : ils étaient 6 500 en 2006, contre 125 500 aujourd’hui, et représentent la troisième catégorie professionnelle dans les classes de France. Pour Dominique Momiron, « la question des AESH a tout du tonneau des Danaïdes. Il semble n’y en avoir jamais assez. Et pour cause : la proportion d’élèves en situation de handicap nécessitant une aide humaine, identifiés par les commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées [CDAPH] est aussi en constante augmentation. » Entre 2006 et 2020, l’effectif des élèves en situation de handicap a été multiplié par trois et, dans le même temps, celui des élèves devant bénéficier d’une aide humaine a été multiplié par neuf. « Malgré les moyens supplémentaires alloués chaque année par l’Etat à l’emploi d’AVS puis d’AESH, cette course poursuite semble toujours sans fin », note l’expert. S’arrêtera-t-elle quand les CDAPH déclareront que 100 % des jeunes en situation de handicap nécessitent une aide humaine en milieu scolaire ? Cela pose question.
Pour Nicolas Eglin, président de la FNASEPH (Fédération nationale des associations au service des élèves présentant une situation de handicap), à l’origine de la création des AVS dans les années 1990, « le sujet des AESH est en train de déraper ». En cause d’après la fédération, l’augmentation démesurée des notifications, l’analyse hétérogène et non objectivée des besoins des jeunes et le non-respect des missions initialement prévues par les Pial. « L’aide humaine est un des leviers utiles pour étayer un enfant lors de son parcours scolaire, mais il n’est pas le seul. L’inclusion scolaire ne peut pas et ne doit pas reposer sur les seules AESH ! », s’exclame Nicolas Eglin.
Mais comment expliquer l’accroissement exponentiel des demandes d’aide humaine à l’école ou dans les établissements secondaires ?
« Au fil du temps et des sollicitations de parents et d’enseignants, on a laissé penser que l’aide humaine était une condition nécessaire à la scolarisation, en la systématisant, sans travailler les autres leviers d’inclusion, la formation des enseignants, l’adaptation de leurs supports de cours, l’accessibilité… »
Un phénomène accentué par le manque de temps des commissions pluridisciplinaires (CDAPH) qui évaluent les demandes formulées par la famille et l’équipe éducative de l’école de l’enfant. Débordées, elles n’auraient en moyenne que 15 minutes pour traiter chaque dossier, dont trois minutes seulement seraient consacrées à la question pédagogique. Ne pouvant vérifier si l’aide humaine réclamée correspond vraiment à un besoin de l’enfant, elles valideraient donc la plupart du temps toutes les demandes.
Pour répondre à la fois aux problématiques professionnelles des accompagnants d’élèves en situation de handicap et sortir d’un système insatisfaisant qui recrute sans cesse sans que jamais les besoins ne parviennent à être couverts, la FNASEPH a rédigé en septembre dernier une note pour une réforme des AESH, à destination du ministère de l’Education nationale, malheureusement restée sans suite. Son analyse très pertinente repose sur les deux piliers de la réponse inclusive aux situations de handicap : la compensation et l’accessibilité. A partir de ces deux notions, la fédération propose notamment un nouveau cadrage pour l’attribution de l’aide humaines des élèves porteurs de handicap et un abandon de l’aide mutualisée, au profit de deux nouveaux métiers mieux formés et mieux rémunérés : « AESH individuel » et « agent d’accessibilité ».
Une tentative pour sortir d’une impasse sociale intenable et remettre en marche un processus d’inclusion scolaire à l’arrêt.
Le 14 avril, le président-candidat, en campagne de l’entre-deux-tours, a affirmé, au micro de France Bleu, sa volonté de proposer des contrats de 35 heures aux AESH, en incluant le périscolaire. Une annonce alléchante mais qui ne permet pas de comprendre comment elle pourra être mise en œuvre, sachant que le périscolaire n’est pas géré par l’Etat, employeur des accompagnants, mais par les collectivités locales. Et qui semble une fois de plus – en n’évoquant aucun autre levier de l’école inclusive – faire porter aux seules AESH la responsabilité de l’inclusion scolaire.
Il y a aujourd’hui 125 500 AESH en France, à 93 % des femmes.
A 87 %, les AESH se sentent mal considérés au sein de l’Education nationale.
Le salaire (95 %), les perspectives d’évolution (90 %) et la formation insuffisante (78 %) sont des points d’insatisfaction majeurs.
Pour 57 % des AESH, l’affectation sur Pial a contribué à dégrader leurs conditions de travail. Seuls 6 % y voient au contraire une amélioration. Un tiers juge que cela n’a pas eu d’effet.
A 82 %, les AESH estiment que l’accompagnement individuel est le plus bénéfique pour les élèves, par rapport aux autres types d’accompagnement, mutualisé ou collectif.
Plus de 90 % des AESH sont satisfaits de leurs relations avec les élèves et enseignants, contre moins de 8 % de leurs relations avec le ministère de l’Education nationale.
Près d’un AESH sur deux indique être prêt à élargir son champ d’intervention, le plus souvent pour effectuer des tâches annexes (administration ou surveillance), ou sur les temps périscolaires.
A 31 %, les AESH envisagent de changer de métier dans les années à venir.
Source : Sondage Harris Interactive pour SNUipp-FSU – « Ecole et métier : consultation auprès des accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) », mars 2022.