« On a commencé en septembre, explique Jean-Christophe Guérin, principal du collège de La Bourgade, à La Trinité, et pilote du Pial du même nom. Nous nous sommes appuyés sur ce qui existait déjà sur notre territoire. » Ce pôle, qui regroupe neuf établissements – un collège et huit écoles maternelles et élémentaires –, est piloté par ce chef d’établissement avec un inspecteur de l’Education nationale, et coordonné par un directeur d’école élémentaire. Il gère l’activité de 23 accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) – dont six sont mutualisées – qui s’occupent de 50 enfants et adolescents. « Ce périmètre est le fruit d’échanges avec la direction des services départementaux de l’Education nationale, reprend Jean-Christophe Guérin, car nous voulions construire un Pial de taille raisonnable et “inter-degrés”, pour faciliter les transitions entre école et collège. »
En effet, les pôles inclusifs d’accompagnement localisés sont à géométrie variable. Dans un vademecum diffusé à la rentrée 2019, à la suite de la loi du 26 juillet 2019 « pour une école de la confiance », qui instaure le nouveau dispositif, le texte indique qu’un pôle peut s’organiser selon trois modalités : à l’échelle du premier degré, à l’échelle du second degré, ou inter-degrés. De plus, c’est l’inspecteur d’académie qui a la responsabilité de l’identification des territoires passant en Pial, et de la désignation de ses pilotes pour le département. « La plus grande souplesse est de mise pour définir l’organisation la plus adaptée et garantir l’atteinte des objectifs au plan académique », avertit le vademecum.
Dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, il y a aujourd’hui 329 Pial dont 14 comptent moins de 10 AESH, 291 en gèrent entre 10 et 45, et 24 en regroupent plus de 45. Si le pilote du pôle de la Trinité a pu « négocier » la taille « moyenne » de son pôle, tous ne le peuvent pas. Et les territoires déjà en tension – dans les zones à forte densité de population comme le Val-de-Marne, ou dans les zones au contraire très rurales – sont ceux qui rencontrent le plus de difficultés dans la mise en place de cette nouvelle organisation pourtant censée les soulager.
Une dérive relevée par la parlementaire Jacqueline Dubois (LREM) dans un rapport rendu en juin 2021. Selon la rapporteure, les insatisfactions ne relèvent pas des fondements des pôles inclusifs, mais de mauvaises conditions lors de leur mise en œuvre : le manque d’AESH, la crise sanitaire et le déploiement « à marche forcée » du dispositif, sans formation suffisante des acteurs de terrain. D’où ses recommandations : mettre en place des Pial « à taille humaine », assurer une mutualisation au sein d’une même classe ou d’un même établissement, et « mettre fin à toute velléité de plafonner le nombre d’heures d’accompagnement par élève bénéficiant d’une notification d’accompagnement mutualisé ».
Pas plus de 15 minutes entre les deux établissements les plus éloignés, et des AESH affectés à trois établissements au maximum, situés sur deux sites tout au plus : « Le Pial de La Trinité, c’est un peu l’idéal », déclare Sabrina Melliti, AESH en poste depuis six ans. Pour elle, la nouvelle organisation n’a pas changé grand-chose : « J’ai demandé à continuer à travailler en collège, voilà qui tombe bien parce qu’il y a toujours des demandes. Je suis mutualisée 24 heures par semaine et les quatre élèves que je suis sont scolarisés dans le même établissement. »
Parmi les objectifs officiels des pôles inclusifs : « un accompagnement humain défini au plus près des besoins de chaque élève en situation de handicap », « une plus grande flexibilité dans l’organisation de cet accompagnement », mais aussi « une professionnalisation des accompagnants et une amélioration de leurs conditions de travail ».
Anne Malluret, inspectrice de l’Education nationale et conseillère technique pour l’école inclusive auprès des recteurs d’Aix-Marseille et de Nice, a conduit l’expérimentation à l’origine de la création des Pial. Elle souligne qu’« il ne s’agit pas simplement de mieux gérer l’aide humaine, mais de favoriser une meilleure appartenance des AESH à la communauté éducative, le travail en équipe autour des besoins des enfants, et l’évolution des pratiques et des supports pédagogiques, en formant mieux les enseignants et les accompagnants. » En effet, dans la formation initiale des enseignants seules 25 heures sont consacrées à l’inclusion scolaire, la formation des accompagnants se limitant à 60 heures. « Il nous reste à faire fonctionner cette partie pédagogique », ce qui serait « en cours ». Une affirmation un peu vague, en ces périodes de rationalisation budgétaire.
A La Trinité, pour intégrer les AESH dans la communauté scolaire et renforcer les pratiques inclusives, Jean-Christophe Guérin a formalisé deux types d’entretiens : « l’entretien d’installation » est l’accueil du professionnel nouvellement recruté par le coordinateur et les pilotes du Pial ; « l’entretien de présentation » a lieu à chaque début de prise en charge avec le professeur des écoles ou le professeur principal, l’accompagnant, l’élève et sa famille. L’AESH est dès le départ considéré comme un membre à part entière de l’équipe pédagogique. Il participe aux réunions d’équipes de suivi de scolarisation, et peut bénéficier de formations et de temps de partage d’expérience avec les enseignants. Il a accès aux outils professionnels et au réseau pédagogique via un ordinateur mis à sa disposition au collège, le but étant de « passer d’une cohabitation à une co-intervention ».
« Je rencontre les familles avec le pilote du Pial, détaille Sabrina Melliti, j’ai accès au GEVA-sco [guide d’évaluation des besoins de compensation en matière de scolarisation] et, même si les grandes lignes de l’intervention sont données en début d’année, je m’adapte chaque semaine aux besoins des enfants qui varient en fonction des matières, des évaluations, et j’en informe le coordonnateur qui me fait le plus souvent confiance. »
Du côté du coordonnateur : « Il peut moduler les emplois du temps plus facilement et libérer un peu de temps pour les autres élèves, explique Jean-Christophe Guérin, mais il faut se donner des limites, au risque d’un émiettement et d’une perte de sens de nos missions. Un AESH ne peut pas s’occuper de plus de cinq ou six élèves. »
Et de conclure : « Pour que le dispositif fonctionne, il faut une réelle conviction des pilotes, une taille de Pial limitée, et bien expliquer et accompagner la mise en place. »