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« Il faut s’interroger sur le choix qui a été fait de multiplier les AESH »

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Selon Alexandre Ployé, chercheur spécialiste de l’inclusion, le rôle des accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) est le tissage du lien humain au quotidien. Mais il ne peut compenser la présence d’enseignants formés à l’approche inclusive, qui demande une véritable transformation de la classe. Un regard nouveau sur l’altérité.
Vous évoquez dans vos travaux un processus d’inclusion inachevé.

Pour l’instant, en France le processus inclusif n’a que fort peu transformé les structures mêmes de l’Education nationale. Les gouvernements successifs ont essayé depuis les années 2000 d’amortir la transition vers l’école plus inclusive en recrutant massivement des AESH. On fait donc peser tout le système sur ces professionnelles. Mais, en même temps, on est incapable de les former, elles sont beaucoup trop nombreuses et on n’a pas les moyens de le faire. Elles sont donc cantonnées à des tâches secondaires et on les met en très grande difficulté.

Quelle est la place des AESH dans l’école inclusive ?

Les AESH répondent à une détresse, à un besoin immédiat. Elles font du bien aux parents et aux enfants dans la relation humaine, le tissage de liens au quotidien ; elles sont utiles pour prendre soin de ces élèves, les accompagner, faire en sorte qu’ils se sentent moins isolés, et les parents rassurés. Les AESH ont donc un rôle important. Néanmoins, faire progresser pédagogiquement les élèves, ce n’est pas leur travail. Que ces enfants soient suivis par des enseignants formés voilà le « nerf de la guerre ».

Comment en est-on arrivé là ?

Il faut s’interroger sur ce choix historique qui a été fait de multiplier les AESH. Ce « vernis inclusif » a permis de masquer la pauvreté du reste des changements structurels de l’Education nationale vers une école réellement plus inclusive. On a fait depuis les années 2000 le pari qu’en mettant les personnes les moins formées et les moins payées au service d’élèves la plupart du temps très marqués par le handicap (troubles du spectre autistique, etc.), et dont les enseignants ordinaires ne veulent pas ou ne peuvent pas s’occuper, on irait dans le sens de l’inclusion.

C’était un pari perdu d’avance et un paradoxe institutionnel : veut-on réellement faire avancer la machine inclusive, ou simplement donner un coup de peinture à l’école ? Le ministère est aujourd’hui piégé car il va être difficile, après avoir fait des AESH un argument politique, de dire aux associations, aux parents et aux enseignants qu’on limite ces recrutements-là. Pourtant, il faudrait avoir le courage d’évaluer réellement la portée pédagogique de ces professionnels. Et cesser de réduire les formations spécialisées, d’amoindrir le recrutement des enseignants spécialisés qui doivent absolument être plus nombreux pour travailler en collaboration étroite avec les enseignants ordinaires. C’est à ce prix-là qu’on pourra faire avancer l’école inclusive.

Peu de choses, finalement, auraient changé dans le sens de l’inclusion ?

On a fait des changements « cosmétiques ». Par exemple, les Clis [classes pour l’intégration scolaire] sont devenues des Ulis [unités localisées d’inclusion scolaire]. Mais si le fonctionnement sur le papier des Clis et des Ulis est différent, dans la réalité, ces dispositifs sont très proches. Les élèves porteurs de handicap sont censés avoir une classe de référence qu’ils devraient occuper le plus souvent, et de temps en temps, pour des besoins d’aide spécifique, être dans le regroupement Ulis. Or, en pratique, j’observe que, la plupart du temps, les élèves sont inclus autant qu’ils en sont capables, et donc, quand on présume qu’ils ne sont pas aptes à suivre cognitivement, on ne les inclut pas. Résultat : ils sont en classe ordinaire pour des disciplines dont on présume qu’elles ont une faible dimension cognitive (éducation physique et sportive, arts plastiques…) et jamais en français et en mathématiques.

On n’est pas du tout dans l’idée qu’ils participent de manière pleine et entière à leur classe de référence. En résumé, une Ulis fonctionne encore comme une Clis, les élèves y passant plus de temps que dans leurs classes de référence. Dès qu’un enfant a un handicap assez sévère, les inclusions sont extrêmement réduites.

Le regard des enseignants sur l’inclusion scolaire a-t-il changé ?

Oui, et c’est le point positif, les mentalités évoluent très rapidement. Les représentations se transforment, elles sont moins ancrées dans l’impossible. L’idée que tous les enfants ont leur place à l’école fait son chemin, la culture du droit inclusif a gagné. Les enseignants sont maintenant très conscients qu’ils ont le devoir d’accueillir, et donc d’adapter et de différencier leur pédagogie.

En même temps, ils n’appliquent pas nécessairement des savoir-faire réels. Il existe une connaissance culturelle des attendus de l’école inclusive mais pas de connaissance pratique des gestes d’adaptation et de différenciation. Ils peuvent donc se montrer maladroits, par déficit de formation initiale. L’école inclusive requiert une véritable transformation de la classe, un regard nouveau sur la différence, l’altérité, ce qui ne se fait pas avec 25 heures de formation initiale. La grande difficulté reste ce déficit de formation du personnel, qui est particulièrement criant pour les AESH.

Comment sortir de cette impasse ?

Il y a plusieurs pistes intéressantes déployées dans d’autres pays. Par exemple, les Italiens ont choisi d’intégrer deux professionnels réellement formés dans chaque classe avec des enfants à besoins éducatifs particuliers. Un enseignant ordinaire et un enseignant spécialisé travaillent ainsi ensemble.

Une inclusion réussie implique-t-elle aussi de déployer les liens avec le secteur médico-social ?

Une des particularités françaises consiste en la segmentation entre les ministères, et demeure prégnante l’idée qu’il existe des prises en charge dans le médico-social pour des enfants dont le handicap serait trop important pour qu’ils soient scolarisés. Cette idée, qui est un enjeu majeur, est combattue dans des pays plus inclusifs que le nôtre. Faudra-t-il à l’avenir redéployer les plateaux techniques et les personnels des instituts médico-éducatifs (IME) dans les circonscriptions scolaires, et créer les conditions d’un réel partenariat ? La réflexion doit être menée. Mais elle pose un problème dans le secteur médico-social, car elle fait craindre aux intervenants des formes de « dé-professionnalisation ». C’est aussi une autre révolution compliquée à mener.

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