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Un père et passe

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Je compte et je recompte. Le loyer, les crédits, la cantine… Je ne vais jamais pouvoir payer tout ça. Un seul tout petit salaire, deux enfants et leur père, qui ignore joyeusement mes appels à l’aide. Ah ça ! Pour venir me faire peur sous mon toit, il sait où me trouver. Mais pour le reste… Je lis et je relis. Le relevé de compte est sans appel : trois chiffres pour les entrées, quatre pour les sorties. Pas besoin d’être Einstein pour comprendre qu’il en manque un.

Je calcule et je recalcule. Le prélèvement d’aujourd’hui peut passer, mais pas celui de demain. Quant à ceux de la semaine prochaine, je préfère ne pas y penser. Je pourrais appeler la banque, mais je connais déjà leur réponse : aucun report possible. Et l’assistante sociale ? « Votre dossier est en cours », me dira-t-elle d’un air désolé.

Je regarde autour de moi. J’ai déjà vendu la télé et les quelques bijoux qu’il me restait. Je pourrais toujours tirer 50 € du canapé mais ça remplirait à peine un Caddie. Et après ? On passerait nos soirées assis par terre à regarder les murs ?

Dans notre vie d’avant, Flobert avait un bon salaire et on ne manquait de rien. Dans celle d’aujourd’hui, j’ai un salaire de misère et on manque de tout.

Je peux m’habituer au manque. Je mets un pull quand j’ai froid, je saute un repas quand le frigo est vide, je marche quand je n’ai plus de quoi faire le plein d’essence. Seule, je peux encore donner le change : les vêtements épais cachent ma maigreur et le grand air me donne bonne mine. Je vais bien, tout va bien…

Mais il y a les enfants ! Le petit veut ses céréales préférées et la grande aimerait sortir avec une copine. Il faut de nouvelles chaussures et un nouveau manuel scolaire, sans oublier la sortie de fin d’année. C’est pas cher, hein ! Seulement 50 €, à payer pour avant-hier dernier carat. Oh ! Et j’ai failli oublier la cagnotte pour la maîtresse qui a eu son bébé…

Je compte et je recompte, mes enfants comptent sur moi et je ne compte plus pour personne. Pour personne ? Vraiment ? Je réfléchis et je fléchis.

Il y a le garagiste. « On peut s’arranger ma p’tite dame », me susurre-t-il en me tendant la facture de la vidange… et il glisse ses mains sous mon pull.

Il y a le voisin du troisième. « Je peux vous faire quelques courses en même temps que les miennes. Les enfants, faut les nourrir, hein ! », me propose-t-il avec un sourire en coin… et il referme la porte derrière lui.

Il y a l’inconnu du Net. « Quelques photos de plus et je saurai me montrer généreux », me suggère-t-il presque poliment… et je me dénude lentement.

Il y a ces hommes et quelques autres, pour le prix d’un Caddie ou de chaussures pour le petit.

Il suffit de fermer les yeux et de ne pas y penser. Quelques minutes de corps à corps, ça ne dure jamais bien longtemps, je reste et ils repartent, je pars et ils oublient. Quelques passes pour quelques jours de répit, parce qu’il y a le loyer, les crédits, la cantine, les enfants qui comptent sur moi et moi qui ne compte plus pour personne.

La minute de Flo

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