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Les conséquences de la surpopulation

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Si la crise sanitaire a permis de prouver qu’il était possible de désengorger les prisons, la machine s’est vite remise en marche et la France va passer ce mois-ci la barre des 70 000 détenus dans les maisons d’arrêt et quartiers maisons d’arrêt, des structures normalement prévues pour 62 000 personnes environ. Une situation qui influe sur la prise en charge médicale des détenus en plus de compliquer le travail des services pénitentiaires d’insertion et de probation.

En février dernier, l’Obser­vatoire international des prisons (OIP) publiait les chiffres issus de sa propre méthode de calcul, quartier par quartier, et les différences avec celle de la direction de l’administration pénitentiaire (DAP) sont significatives : plus 38 points au quartier maison d’arrêt des hommes de Limoges, où le taux d’occupation passe de 174,2 % à 212,2 %. Plus 50 à Lorient, où l’on passe de 154 % à 206,5 %. Plus 32 à Tarbes, pour atteindre un taux de 217 %, au lieu des 185 affichés. A Perpignan, la barre des 250 % est dépassée. Ainsi, au 1er janvier 2022, dix quartiers connaissaient des taux d’occupation supérieurs à 200 %, et non pas cinq, comme indiqué par la DAP : Bordeaux-Gradignan, Tulle, Limoges, La Roche-sur-Yon, Lorient, Foix, Carcassonne, Nîmes, Perpignan et Tarbes.

Tous les mois, la direction de l’administration pénitentiaire publie en effet les taux d’occupation des prisons françaises. Mais, selon l’OIP, ces chiffres, qui pointent déjà une surpopulation carcérale alarmante, sont biaisés puisqu’ils occultent un élément essentiel : les taux spécifiques aux quartiers hommes. Les moyennes publiées incluent les places des quartiers femmes, mineurs et, dans certains cas, de semi-liberté alors qu’ils sont rarement pleins, ce qui fait donc mathématiquement baisser le taux d’occupation global.

Or cette surpopulation carcérale n’est pas sans conséquences sur la santé mentale des détenus : le taux de patients ayant besoin d’un suivi psychologique ou psychiatrique peut atteindre 80 % selon les établissements. Certains détenus qui y entrent souffrent déjà d’une pathologie, mais d’autres en développent du fait de l’incarcération. « Et parfois même du fait de l’arrestation, précise Béatrice Badin de Montjoye, cheffe du service médico-psychologique régional (SMPR) de la maison d’arrêt de la Santé, à Paris. Ce moment peut être très traumatique, notamment lorsque l’arrestation intervient en présence de la famille et des enfants en particulier. » Autre moment crucial en matière de santé mentale, l’entrée en prison. « Certains détenus souffrent du choc carcéral, ajoute la psychiatre. Ils éprouvent une profonde détresse en réalisant qu’ils perdent, en quelques heures, leur liberté, leur statut social, leur place dans la famille, etc. C’est un passage qui peut être très difficile. »

Risques de passage à l’acte

A la maison d’arrêt de la Santé, à Paris, les professionnels du groupe hospitalier universitaire (GHU) qui suivent les détenus ont plus de 1 000 personnes à leur charge, dans un établissement conçu pour 708 places. L’équipe est composée de quatre psychiatres, six infirmiers, un ergothérapeute, un psychomotricien, trois psychologues et une assistante sociale. Tous portent une attention particulière aux nouveaux arrivants en les rencontrant systématiquement lors d’entretiens individuels. Au-delà du moment de l’arrivée, « les passages au quartier disciplinaire, les fêtes de fin d’années et l’été sont les périodes les plus difficiles, explique Béatrice Badin de Montjoye. Ce sont des moments où les risques de passage à l’acte sont les plus élevés. » Plus de la moitié des décès en prison sont, en effet, consécutifs à des suicides.

A cela s’ajoute le problème de la surpopulation. « Etre trois en cellule peut aggraver les problèmes existants, notamment pour les personnalités schizophrènes ou délirantes pour qui la situation est très déstabilisante. Et cela peut créer de nouvelles pathologies, des troubles du sommeil, quand un codétenu ronfle, par exemple, ou encore des passages à l’acte violents. Avec un tel nombre de détenus, le plus difficile est donc de repérer les patients à risque pour pouvoir les prendre en charge. »

A Marseille, Pascale Giravalli travaille au sein du SMPR des Baumettes et coordonne l’unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA). « Pour un détenu, l’expérience carcérale est intimement complexe et a un retentissement à la fois physique et psychique, explique la psychiatre. Au plan psychique, qu’elle souffre déjà d’une pathologie ou non, la personne doit puiser des forces intérieures pour résister à l’intrusion. Entre enfermement, surveillance et dépersonnalisation, la détention accroît le risque de décompensation sévère. Certains détenus fragilisés peuvent donc développer une pathologie qui ne se serait pas déclarée dans d’autres conditions. » L’enveloppe corporelle est elle aussi touchée. « Physiquement, le stress induit par la détention et l’adaptation à l’enfermement peut avoir des conséquences dermatologiques comme de l’eczéma, des allergies, ou encore atteindre la sphère digestive, poursuit la spécialiste. Chez les femmes, les cycles menstruels peuvent s’arrêter. »

Difficile démarche de réinsertion

La sortie de prison est elle aussi impactée par les problèmes de surpopulation carcérale puisque le suivi des soins est compliqué par le grand nombre de patients. « Ce qui est difficile, détaille Béatrice Badin de Montjoye, c’est l’engorgement des centres médico-psychologiques. Nous ne connaissons pas toujours les dates de sortie, il est donc difficile d’anticiper des rendez-vous. De plus, les patients sont parfois interdits d’aller dans des arrondissements où ils bénéficiaient de soins avant leur détention et certains n’ont pas de logement à la sortie… Alors nous essayons de travailler avec les réseaux de soins en ville et nous proposons aux ex-détenus de prendre contact avec notre consultation externe. Toutes ces démarches prennent du temps et il est évident qu’il est parfois difficile de faire du “sur mesure” quand il y a tant de patients ! »

Autre constat alarmant pour Benjamin Bons, secrétaire national CGT insertion et probation, la sur­population empêche les détenus de se concentrer sur leur propre réinsertion. « Pour penser l’après et se lancer dans une démarche d’insertion, estime-t-il, il faut une certaine disponibilité d’esprit. Mais quand les personnes dorment à trois dans une cellule, matelas par terre pour beaucoup, elles arrivent en entretien très fatiguées, d’humeur triste ou énervées et parfois avec un problème d’addiction. Il est alors très difficile de les mobiliser sur des démarches. »

Au GHU de la Santé, Camille Katarzynski, assistante sociale du service intra-carcéral, aide elle aussi les détenus à préparer leur sortie. « La sur­population, je la ressens dans mon travail au nombre de dossiers que je suis en même temps. J’en ai 46 en ce moment contre 30 en janvier », explique-t-elle. Elle reçoit donc plus de détenus par jour et doit réaliser les démarches plus rapidement. « J’ai changé ma façon de travailler, j’entreprends les démarches pendant l’entretien avec le patient au lieu de prendre le temps de le faire après. Je dois donc penser à tout, tout de suite. Ce qui implique aussi que les délais de rendez-vous sont rallongés. Auparavant, un patient qui demandait à me voir était reçu dans la semaine, aujourd’hui, il faut 15 jours. »

Parmi les démarches nécessaires à la préparation de la sortie, les recherches de logement et d’emploi sont au cœur de la réinsertion. « Nous avons des partenariats avec des structures d’hébergement et avec des centres de formation professionnelle comme l’Afpa ou le Greta, avec qui nous co-construisons des projets, explique Benjamin Bons. Mais il reste difficile pour les détenus de justifier de trous dans leur CV. Le travail en détention devrait être généralisé, il est essentiel à l’insertion professionnelle. Evidemment, quand on est plombier ou cuisinier, on peut travailler en prison, même si les délais sont parfois longs ». Et quels que soient les métiers, les ateliers restent aussi surpeuplés que les cellules.

Quand le Comité européen pour la prévention de la torture tacle le gouvernement français

Après avoir visité en juin dernier les établissements pénitentiaires de Bordeaux-Gradignan, de Lille-Sequedin, de Maubeuge et de Vendin-le-Vieil, le Comité pour la prévention de la torture (CPT) de l’Union européenne a rendu ses conclusions :

« Le Comité continue d’être préoccupé par le placement à l’isolement de personnes détenues pour des durées prolongées, dépassant parfois plusieurs années, en raison de son impact sur la santé mentale. L’accès aux soins somatiques était, dans l’ensemble, satisfaisant, certaines équipes – médicale à Lille-Sequedin, infirmière à Maubeuge et psychiatrique à Maubeuge et Vendin-le-Vieil – devraient cependant être renforcées.

Le CPT considère qu’il est inacceptable que des personnes souffrant de troubles psychiatriques sévères demeurent détenues en prison faute d’être transférées dans des structures de soins adéquates. La prise en charge de personnes détenues en unités hospitalières spécialement adaptées (UHSA) marque une avancée certaine, mais les places au sein de ces structures restent insuffisantes.

De plus, le Comité déplore à nouveau que le transfert et les soins prodigués aux personnes détenues en milieu hospitalier continuent d’être le plus souvent pratiqués dans des conditions inadmissibles : recours quasi systématique aux entraves et présence fréquente du personnel d’escorte lors des consultations. »

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