Le CGLPL est une autorité administrative indépendante créée en 2008. Son rôle est de contrôler les conditions de prise en charge des personnes privées de libertés et de s’assurer du respect de leurs droits fondamentaux. Il peut être saisi par des détenus ou leurs proches, des avocats, des associations. Notre pôle « saisine » reçoit 3 700 lettres par an et de très nombreux appels. Quand on a beaucoup de signalements sur le même endroit, on va visiter. Nous allons aussi dans toutes les maisons d’arrêt surpeuplées.
Sur place, en équipe de 10 à 20 personnes selon les lieux, nous visitons tout et rencontrons tout le monde : les détenus, avec qui on discute longuement, les équipes, la direction, etc. Nous ne prévenons pas de notre venue. Généralement, on est bien reçus, le personnel pense que ça peut aider à améliorer la situation. De toute manière, on n’est pas là pour plaire, notre rôle est de voir ce qui se passe et de le faire savoir.
Après les visites, nous écrivons un rapport qui passe en phase contradictoire auprès du chef d’établissement et du ministre, et qui est publié. Si l’on assiste à des choses terribles, on publie en urgence une recommandation au Journal officiel. Puis, trois ans après – mais je voudrais que ce délai passe à deux ans –, nous opérons un suivi de nos recommandations.
C’est arrivé trois fois. Pour deux prisons (Toulouse-Seysses et Bédenac, en Charente-Maritime) et un service psychiatrique (Jean-Baptiste-Pussin, à Lens). Par exemple, lors de notre visite à Toulouse-Seysses début juin dernier, nous avons découvert une prison surpeuplée et mal tenue. Le taux d’occupation dans le quartier des hommes était de 186 %. Il y avait peu de travail et beaucoup de violences, les détenus sortaient donc très peu, le temps passé en cellule avoisinait les 22 heures par jour. Il y avait des rats partout, des punaises de lit et des cafards. Certains détenus dormaient avec du papier toilette dans le nez et les oreilles pour éviter que les cafards n’y entrent. Un cas de leptospirose – qui s’attrape avec l’urine de rats – a même été détecté. Nous avons alors émis en urgence un rapport, publié le 13 juillet.
Actuellement, c’est la surpopulation dans les maisons d’arrêt. Dans les centres de longues peines, l’encellulement individuel est la règle, mais dans les maisons d’arrêt, la situation est monstrueuse ! Ça pourrit tout, les rapports entre détenus, ceux entre détenus et surveillants… Dans une cellule de 9 m2, une fois enlevés les toilettes, les lits superposés, le matelas de celui qui dort au sol, il reste en réalité 4,3 m2 à se partager !
Evidemment ! Les soins sont prévus pour la capacité d’accueil théorique. Pendant la pandémie, on a eu du mal à séparer les positifs des négatifs. Et en général, à cause de la surpopulation, il est très compliqué d’avoir un rendez-vous avec le service médical. Quant aux rendez-vous avec des spécialistes, c’est la croix et la bannière ! Il arrive que des détenus se crèvent leurs abcès dentaires eux-mêmes ou doivent attendre des mois pour des opérations. Nous avons rencontré des détenus dont le cancer a été détecté très tardivement, l’un en est mort.
Il y a aussi des conséquences sur la santé mentale. Etre enfermés à trois, ça tape sur le système. De nombreuses violences pourraient être évitées. Et lorsque quelqu’un a un problème, ça rejaillit sur les autres. J’ai l’exemple d’un détenu épileptique qui faisait des crises la nuit, ses codétenus pensaient qu’il allait mourir.
Les parloirs, par exemple, mais aussi l’accès aux activités, aux douches (quand elles sont collectives), au travail, aux rendez-vous avec son Cpip [conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation] pour les aménagements de peine. Tout le système est grippé. Un avocat a un jour utilisé l’image d’un ascenseur : s’il est limité à 8 personnes, on n’aurait pas l’idée d’y monter à 15 car on sait que les conséquences seraient catastrophiques. Là, c’est pareil ! On peut en vouloir aux détenus, mais les surveillants, eux, n’ont rien fait et leurs conditions de travail sont parfois horribles.
Nous ne préconisons pas de construire de nouvelles prisons. D’abord, parce que c’est très long et, surtout, nous pensons qu’il existe d’autres moyens d’actions. Il faut aménager les peines : nous disposons d’un panel énorme d’alternatives à l’incarcération : bracelet électronique, travaux d’intérêt général, jours-amende, les placements extérieurs. Au CGLPL, nous prônons également la régulation carcérale : ainsi, dans une prison pleine à 100 %, quand quelqu’un rentre, quelqu’un sort un peu avant sa date de sortie prévue avec un programme de contrôle. Mais en France nous manquons d’audace sur ces sujets. Il y a un manque de volonté politique.
Il faut juguler la surpopulation. C’est mon but. Ça ne va pas se faire en une fois car nous n’avons pas de pouvoir d’injonction, seulement un pouvoir d’alerte. Mais à force de répéter les choses, j’espère que les gens vont comprendre que, dans ces conditions, les détenus sont plus abîmés lorsqu’ils sortent que lorsqu’ils entrent. Ce n’est pas le rôle de la prison.
Et parmi toutes les autres choses à faire, la seconde priorité, selon moi, est l’enseignement pour les enfants délinquants en centres éducatifs fermés. Ils sont déjà cabossés et viennent très souvent de l’aide sociale à l’enfance. Il faut mettre le paquet sur la formation et l’éducation de ces enfants. Tout est lié, car ce sont souvent eux que l’on retrouve sur les bancs des comparutions immédiates puis en maisons d’arrêt.
C’est la moindre des choses d’aller voir où l’on envoie les gens. Je pense vraiment que s’ils voyaient ce que je vois, ils en concluraient que ce n’est pas possible. Sur le terrain, les personnels de prison me disent qu’ils ne les voient jamais. Je pense que ça devrait être une obligation. C’en est une pour les procureurs, mais elle n’est que très peu remplie.