« Alors qu’il portait comme ambition de reconnaître l’engagement des agents publics hospitaliers durant les multiples vagues de la crise sanitaire et de les fidéliser, le Ségur mis en œuvre dans les établissements sociaux et médico-sociaux produit l’effet inverse. Il se résume à ce paradoxe : des efforts inédits pour la revalorisation du secteur, certes, mais une frustration et une tension extrêmes dans les établissements, à tous les niveaux.
Depuis fin 2020, les directions d’établissements publics sociaux et médico-sociaux font remonter à leurs autorités de tarification et aux ministères de rattachement les conséquences dramatiques de l’application inéquitable du Ségur de la santé dans les champs du handicap et de la protection de l’enfance.
La mobilisation des directions comme des professionnels de terrain est massive et les alertes, quotidiennes : courriers aux ministres de tutelle, motions de conseils d’administration au Premier ministre, communiqués et articles de presse, etc.
Les annonces de Jean Castex lors de la conférence du 18 février dernier sur l’extension des 183 € net mensuels (soit 2 196 € par an) à la filière socio-éducative constituent indubitablement une bonne nouvelle et une réelle avancée. Pourtant, les personnels restent très amers et la tension ne s’apaise pas. Début avril 2022, aucune information n’est parvenue sur la liste des métiers concernés, le calendrier de mise en œuvre reste flou. Les professionnels concernés sont fatigués d’une attente qui n’a que trop longtemps duré et qui a entamé leur confiance. Nombre d’entre eux sont déjà partis vers d’autres établissements éligibles au Ségur.
Ils et elles sont cuisiniers, jardiniers, agents d’entretien, agents de maintenance, chargés de paie, assistants administratifs, lingères, chauffeurs, ouvriers qualifiés, secrétaires administratifs, attachés d’administration hospitalière. Femmes et hommes invisibles et indispensables au fonctionnement quotidien des établissements. Sans eux, aucun établissement social et médico-social ne peut assurer sa mission quotidienne d’accueil, d’accompagnement, d’hébergement. Ces professionnels ont en charge la préparation des repas, la conduite des enfants à leurs rendez-vous médicaux, l’entretien et le nettoyage des espaces de vie. Ce sont eux qui assurent la gestion des stocks, la commande du matériel, la préparation des fiches de paie pour les personnels, la gestion des plannings.
Ils n’ont cessé, durant la crise, de se mobiliser malgré l’absence de masques et de gel du début de pandémie. Il fallait continuer à préparer les repas pour les enfants, à gérer les salaires des personnels, à régler les contraintes logistiques liées à la pandémie, et aussi à nettoyer, à désinfecter les espaces et à renettoyer, encore et encore, pour protéger les enfants et adultes accueillis ainsi que les personnels. Pour beaucoup d’entre eux, pas de travail à distance possible. Certains sont allés au travail la peur au ventre pour assurer la continuité de service, tenir et maintenir un quotidien au sein des établissements et services aussi normal que possible.
Malheureusement, ces professionnels des filières administrative, technique et logistique, dont on estime qu’ils sont 3 000 dans la fonction publique hospitalière (FPH), ne sont ni nommés ni évoqués à aucun moment, nulle part, dans le Ségur de la santé. Qui leur a dit merci ? Et pourquoi ne sont-ils plus concernés par le Ségur dès lors qu’ils n’exercent pas à l’hôpital ou en Ehpad ?
Quelle est la logique dans la gestion du Ségur par le gouvernement ? Certains établissements plutôt que d’autres, certains métiers plutôt que d’autres. Avant pour certains et après pour d’autres, toujours pas pour les administratifs et services généraux.
Contrairement à ce qui peut être affirmé par Matignon, ce n’est pas qu’une logique de métiers qui prévaut dans les arbitrages sur le Ségur, mais bien aussi une logique de statuts d’établissement et de financeur. C’est ainsi que l’on arrive à une situation où le traitement n’est pas le même selon que le professionnel exerce dans un établissement rattaché à un hôpital, Ehpad ou non ; qu’il exercice dans un établissement financé par l’assurance maladie ou le conseil départemental (foyers de l’enfance, maisons d’enfants à caractère social, foyers de vie, etc.).
La discrimination se faisant selon le type d’établissement, ceux exclus de la mesure n’ont aucun moyen de lutter puisque a structure éligible à la revalorisation proposera, pour exactement le même diplôme et les mêmes fonctions, une rémunération supérieure de 183 €. De fait, cela crée des désavantages concurrentiels pour certains établissements au sein même de la FPH, censée pourtant offrir les mêmes conditions à tous. Résultat : ces établissements sociaux et médico-sociaux sans aucun levier devant le départ de leurs ressources vives vers d’autres établissements publics ou associatifs sanitaires et médico-sociaux éligibles au complément de traitement indiciaire (CTI) se retrouvent en grande difficulté, avec une fuite de leurs professionnels et des difficultés historiques de recrutement.
Si le tir va être corrigé pour certains professionnels (extension à la filière socio-éducative) et certains établissements (notamment ceux à financement départemental), on ne sait pas encore selon quelles modalités et quel calendrier. Il faudrait éviter que se répète le scénario de la prime “Covid”, pour laquelle l’application a été laissée à l’appréciation de chaque conseil départemental.
Les différentes alertes, portées depuis plus de 18 mois par les directions, sont devenues depuis une triste réalité : nombre d’établissements sont contraints de fermer des services et font face à des départs massifs dans les services éducatifs, soignants, logistiques, administratifs, techniques, etc.
Dans ce contexte, tout est devenu plus compliqué pour les managers. Les personnels qui restent dans les équipes doivent assurer avec un personnel soit réduit, soit plus volatile (explosion du recours à l’intérim), ce qui les fait entrer dans un cercle d’épuisement. Aussi, comment leur en demander plus ? Tant qu’il restera des exclus du Ségur, la tension ne se tarira pas. Cette extension à tous est une condition indispensable (mais non suffisante) pour passer à autre chose. D’un combat seulement salarial, nous sommes passés à un combat aussi symbolique pour la reconnaissance des personnels engagés dans le soin auprès d’enfants et d’adultes vulnérables et eux aussi invisibilisés.
Le combat du Ségur est devenu un combat en faveur d’une cohésion sociale nationale au service de la santé des citoyens les plus fragiles. L’enjeu est aujourd’hui d’apaiser rapidement les structures et les professionnels et de redonner du sens à l’accompagnement et à la prise en charge.
Il y a urgence à rétablir la confiance entre les opérateurs de terrain et les pouvoirs publics ! Deux semaines après l’envoi de notre première lettre ouverte, la seule réponse de Mme Cluzel est un silence assourdissant.
C’est pourquoi nous lançons aujourd’hui l’“Appel des 100” directeurs et directeurs adjoints d’établissements publics handicap et protection de l’enfance de toute la France à l’attention de MM. Emmanuel Macron et Jean Castex pour porter la voix des derniers “oubliés du Ségur” qui sont les chevilles ouvrières de nos structures. Cet “Appel des 100” a été diffusé aux professionnels de terrain, qui ont très largement et rapidement rejoint le mouvement : 1 000 signatures ont été recueillies en seulement quelques jours.
Nous refusons que 3 000 agents soient sacrifiés, sans raison, sur l’autel des économies de bouts de chandelle. Il en va tout simplement de la poursuite des missions de nos établissements au service des personnes accompagnées.
Aussi demandons-nous solennellement au gouvernement :
– d’allouer le CTI aux 3 000 derniers agents de la FPH au 1er avril 2022, en même temps que les personnels de la filière socio-éducative (décret en attente) ;
– de défendre et de soutenir le secteur social et médico-social public autonome ;
– de soutenir l’égalité de toutes les catégories socio-professionnelles car elle est nécessaire pour maintenir la cohésion des équipes ;
– de reconnaître l’engagement de tous les agents de nos établissements des secteurs social et médico-social qui participent à la qualité globale de la prise en charge.
Les directeurs signataires portent avec leurs conseils d’administration tout l’espoir de catégories socio-professionnelles qui méritent, comme les autres salariés de la fonction publique, la reconnaissance de leur travail au quotidien auprès de publics vulnérables. »
(1) Liste des signataires de l’« Appel des 100 » : https://bit.ly/3O5HFP9.
Pour débattre :