Ils se rêvaient en héros adulés d’une nation toute entière. Mais, de retour du champ de bataille meurtrier du Vietnam, ils se sont échoués sur les rives d’un pays traumatisé par les ravages d’une guerre lointaine. Les Etats-Unis, qui se rêvaient en phare mondial de la démocratie, se sont piteusement retirés en 1975, après dix-neuf ans de conflit.
Travailleuse sociale agréée auprès du « Good Shepherd Community Care » de Boston (Massachusetts), Jennifer Solomon, vient de participer à une conférence à la Newton Free Library consacrée aux effets de la guerre du Vietnam sur la santé mentale des anciens combattants, et aux défis uniques auxquels ces derniers sont confrontés. S’agissant des soins reçus par ces vétérans arrivés pour la plupart à l’âge de la retraite, 90 % proviennent de cliniques communautaires, d’hôpitaux, de maisons de soins privées et d’hospices. Le reste seulement étant assumé par le département des Anciens Combattants des Etats-Unis, évalue-t-elle dans un compte rendu publié par le journal de l’Université de Boston.
Symboles d’une défaite humiliante pour le Pentagone et son ministère des Armées, beaucoup de ces soldats ont été plongés dans la dépression et le syndrome dit post-traumatique. En 2015, l’ancien parachutiste Chuck Dean estimait, dans son livre Nam Vet, que plus de 150 000 anciens combattants américains du Vietnam s’étaient déjà donné la mort, contre près de 60 000 effectivement tombés au « champ d’honneur ». La moitié des quelque 300 000 vétérans survivants présenteraient des troubles mentaux et ont souffert du chômage, de l’absence de logement et d’addictions aux drogues dures débutées au Vietnam. D’autres ont développé un diabète de type 2, conséquence probable, selon l’Académie nationale des sciences de Washington, du déversement massif sur la jungle vietnamienne du défoliant toxique appelé « agent orange », une substance à base de dioxine concentrée.
Cette guerre, constate Jennifer Solomon, a créé une blessure morale particulière, nouée par l’expérience traumatique en elle-même, puis aggravée par un intense sentiment de culpabilité et de honte. Puisque le bouillonnement de la contre-culture pacifiste et les troubles sociaux engendrés par la difficile conquête des droits civiques ont provoqué désillusions et frustrations, c’est donc une société en colère qui a « accueilli » avec froideur et rancœur ces vétérans parias : « Au moins, vous auriez pu vous attendre à rentrer à la maison et à être honorés de la même manière que les générations précédentes d’anciens combattants. Et cela ne s’est pas produit dans de nombreux cas », ajoute-elle.
Les travailleurs sociaux dépêchés au chevet de ces rescapés doivent avoir ce contexte à l’esprit et se préparer à une libération de la parole qui intervient au stade de la fin de vie, après parfois des décennies de silence. « En tant que professionnels, ceux d’entre nous qui travaillent dans leur environnement médical ne bénéficieront pas d’un sentiment automatique de confiance, et nous devons le mériter », ajoute encore Jennifer Solomon, à l’heure où les anciens combattants du Vietnam commencent effectivement à entrer dans les hospices. Pour mémoire, cette guerre menée au nom de la lutte contre l’expansion communiste a provoqué la mort d’environ trois millions de soldats. Quant aux pertes civiles, elles sont évaluées entre 400 000 et deux millions de personnes.