Lorsque, sur un site web, vous avez le malheur de taper une mauvaise adresse, vous tombez souvent sur la page « Error 404 : il n’y a personne à cette adresse ». C’est à peu près pareil avec les avis d’expulsion qui fleurissent au petit matin, à Calais, sur les campements de fortune. Affichée sur des petits panneaux, la phrase de l’huissier de justice se répète inlassablement : « Ces personnes ne semblent pas me comprendre, et pour unique réponse, j’obtiens “Arabic”. » Pourtant, jamais celui-ci n’est accompagné de traducteurs afin de permettre un échange avec les personnes exilées. Ce qui les empêche de pouvoir se défendre devant la justice, notamment en cas d’expulsion réalisée sans contradictoire.
Face à cette situation, plusieurs associations et personnes solidaires de Calais ont fini par trouver une parade. Simple comme bonjour. Joe et Toukan, deux bénévoles plutôt habiles de leurs mains, se sont démenés pour fabriquer plusieurs boîtes aux lettres en tôle sur lesquelles sont désormais inscrits les noms des personnes exilées. Mercredi 30 mars, sur les coups de 14 h, l’opération commence. Pelles, pioches, béton, guetteurs, il faut agir vite et discrètement pour ne pas être interrompus par les forces de l’ordre qui tournent quasi quotidiennement sur les campements, parfois en veille de longues heures sur place. Par chance, ce jour-là, pas de fourgons en vue, et les deux lieux de vie « Old Lidl » et « BMX » voient, en quelques dizaines de minutes, leurs boîtes aux lettres s’ériger du sol. En parallèle, un mail est envoyé aux autorités avec les adresses électroniques des personnes habitant sur les campements, expliquant qu’ils ont désormais un domicile.
« Vous êtes OPJ [officier de police judiciaire] ou huissier de justice et vous voulez nous expulser ? Lisez d’abord ceci », indique un panneau métallique soudé au-dessus de chaque boîte. Dans une brève description, des articles de loi rappellent que les campements font office de domicile et que, comme pour toute expulsion de domicile, les autorités doivent s’assurer d’une décision de justice en ce sens. Il est également précisé que les personnes exilées, que les huissiers affirment ne pas réussir à rencontrer, ont le droit de pouvoir se défendre, avec notamment la présence d’un avocat. De la pédagogie bienvenue, alors qu’en début de semaine le préfet du Pas-de-Calais a été condamné pour une expulsion menée illégalement en septembre 2020, qui avait vu des dizaines de personnes emmenées contre leur gré dans des centres éloignés du département.
Quelques minutes après la pose de ces boîtes aux lettres, une voiture de police passe, puis deux fourgons sont appelés. Juriste au projet de l’Auberge des migrants « Human Rights Observers », Natacha commente : « On ne sait pas si ça va marcher, mais on l’espère. »