Depuis le 24 février 2022, la mobilisation pour accueillir les réfugiés d’Ukraine ne faiblit pas. Cet élan inédit de solidarité contraste avec la politique des pouvoirs publics en matière d’hébergement des autres personnes étrangères. Car, de plus en plus, le principe de l’accueil inconditionnel est remis en cause. Cette évolution n’est pas récente. Alors que l’hébergement relevait traditionnellement du ministère des Affaires sociales, depuis 2010, le ministère de l’Intérieur a, avec l’Ofii [Office français de l’immigration et de l’intégration], la tutelle du dispositif dédié aux demandeurs d’asile. Ce ministère veut imposer une condition de séjour aux hébergements généralistes en raison d’une interprétation erronée de la jurisprudence du Conseil d’Etat. Ainsi, dans plusieurs départements, il est demandé aux personnes de préciser leur situation administrative. Celles faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire « exécutoire » ne bénéficient au mieux que d’une brève mise à l’abri, sauf vulnérabilité persistante, ou voient résilier leur contrat de séjour sans solution de continuité.
L’Etat impose également aux centres d’hébergement des missions de contrôle des personnes qui met à mal leur vocation originelle d’accueil et d’accompagnement social. Dans le dispositif dédié aux demandeurs d’asile, ces impératifs sont les plus prégnants puisque, d’une part, les personnes « dublinées » ou déboutées peuvent y être assignées à résidence et, d’autre part, les gestionnaires sont tenus de signaler toute absence, de signifier les décisions de sortie de l’Ofii, voire d’entamer des procédures de référé pour faire quitter les lieux, sous peine de voir leur dotation réduite. Cette logique a désormais contaminé le pilotage des centres d’hébergement généralistes, lesquels sont contraints à la venue d’équipes mobiles et, plus souvent encore, de transmettre, via des fichiers à la légalité fragile, des informations relatives à la situation administrative des personnes accueillies, afin de « fluidifier » le dispositif. C’est à dire d’« orienter » vers un retour volontaire ou forcé. Cette politique d’hébergement conditionnée, sous contrôle et dissuasive conduit à une exclusion toujours plus grande de personnes qui vivent, pendant des années, une quarantaine administrative, économique et sociale, sans perspective d’avenir.
Cette logique n’est pas irréversible. Elle peut être inversée si, au lieu d’être vues comme des opérateurs à qui sont donnés des ordres, les associations étaient considérées comme des partenaires des pouvoirs publics, à la fois forces de proposition et lanceurs d’alerte. Elle peut être inversée si la politique d’accueil des personnes étrangères est guidée par les principes de fraternité et de solidarité.