Alors même que les situations sociales se dégradent, je vois la réduction des moyens s’accélérer à coups de fermetures. Au sein de mon pôle psychiatrique, 15 lits ont été supprimés en 2021 sans renforcement de l’ambulatoire. Sur l’ensemble de l’hôpital, en six mois, environ 30 lits et des dizaines de places de jour ont disparu. Ces décisions participent à la perte de sens et à la dégradation des conditions de travail qui font fuir le personnel. Dans mon service, nous ne sommes plus que quatre assistantes sociales au lieu de huit quelques années plus tôt. Résultat ? Les médecins deviennent peu à peu des gestionnaires, et nous, de simples exécutrices d’ouverture de droits à la sécurité sociale. Faute de lits, la durée de séjour est réduite à son minimum.
Alors comment assurer le suivi nécessaire ? Le temps est pourtant essentiel, pour nous et pour les personnes qui ne sont souvent pas en mesure d’évoquer leurs situations complexes. Il y a encore quelques années, il était possible de leur trouver un hébergement. Aujourd’hui, nous nous retrouvons très souvent sans solution, renvoyant des patients, parfois très jeunes, à la rue ou dans des hôtels infestés de punaises.
En parallèle, de nouvelles prises en charge sont promues avec des évaluations, des échelles standardisées, des centres de « réhabilitation » pour ceux qu’on appelle maintenant « usagers ». Cette politique veut les destigmatiser, les réinscrire au cœur de la citoyenneté en les rendant autonomes dans les plus brefs délais. Mais c’est ignorer les besoins au long cours des patients les plus gravement atteints, vulnérables et isolés. Et lorsque ces patients décompensent et ne peuvent plus être hospitalisés, n’est-ce pas là qu’ils sont réellement stigmatisés ?
Présidente, je rétablirais de véritables parcours de soins où les patients pourraient bénéficier de suivis adaptés à leur pathologie. Je mettrais fin à cette politique visant à faire rentrer les patients dans des cases et j’organiserais une vraie politique de secteur. Il nous faut du temps, des lits, des structures ambulatoires, avec des hôpitaux de jour, des centres d’accueil thérapeutique à temps partiel…
Moi, Présidente, je m’adapterais à mes patients, et non le contraire, sans traiter la psychiatrie avec la même logique que les maladies somatiques.
« On juge du degré de civilisation d’une société à la manière dont elle traite ses fous », disait le psychiatre Lucien Bonnafé. Une grande partie de nos patients n’ont aucune demande et ne sont pas en capacité de s’opposer. Ces personnes ont besoin d’être défendues plus farouchement que jamais pour faire valoir leurs droits au sein d’une société qui a tendance à les présenter comme un public d’« assistés » et peu « rentable ».