L’élection présidentielle est un moment d’espoir et, pourquoi pas, de rêve. De celle ou celui qui se verra confier un mandat pour agir au service du bien commun, j’attends avant tout qu’il s’engage, résolument, concrètement, contre l’injustice suprême que constitue une forme, pernicieuse et hélas persistante, d’ordonnancement social. Un ordonnancement qui conduit à faire varier la considération des vies selon les degrés d’une hiérarchie. Par-delà le credo humaniste de l’égalité des droits et du partage, il en va de la valeur attachée à toute vie et des fondements mêmes de notre société et de notre pacte républicain. Ainsi, je rêve que le (ou la) futur(e) Président(e) mène la seule guerre qui vaille : la guerre contre cette conception pyramidale des vies, qui n’a de légitimité, ni biologique, ni philosophique, ni politique, et contre tous les phénomènes de captation qui s’expriment, encore et toujours, jusque dans les recoins de notre société, par des comportements, des discours, des politiques et des institutions.
On s’habitue pourtant trop volontiers à la banalité de ce mal que sont les expressions de domination et les iniquités chroniques. Il ne suffit pas de s’engager à s’engager, ni de déclarer les hommes égaux, pour qu’ils le soient. Qui dit « égalité et justice » dit « équité ». Parler d’égalité des chances est dénué de sens lorsqu’on ne dispose pas des mêmes moyens, des mêmes possibles, de la même liberté, des mêmes soutiens ; quand des obstacles de tous ordres, matériels, sociaux, culturels, éducatifs, la compromettent ; tant que l’on méconnaît l’obligation de donner plus à ceux qui paraissent voués à des privations sans appel. Il y a quelque chose d’inhumain quand le moins attire le moins.
En un temps de compétition exacerbée, puissiez-vous, comme futur(e) Président(e), concilier l’objectif d’accroissement des ressources de notre société avec l’idéal de protection des droits de chacun et de défense des plus déshérités. Une société ne saurait fonctionner avec aux degrés les plus élevés de la pyramide, les illustres, les possédants ; aux étages inférieurs, les sans-grades, les locataires, les oubliés dans la distribution des rôles sociaux. Chacun dans sa case, sans franchissement de la ligne de partage, afin de ne pas déranger l’ordre établi. Nombreuses sont les victimes expiatoires de cet ordre que rien ne semble perturber : des personnes en situation de handicap, nos aînés et tant d’autres oubliés dans le tourbillon du monde, privés des droits fondamentaux que l’on désire tant pour soi-même. Tous les Gavroche et Cosette de notre temps, cherchant à survivre au fil des générations. Le chantier est immense. Impossible mais nécessaire : réunifier la société autour d’un ordre social basé sur l’avoir en commun et l’être ensemble. C’est la condition première d’une esthétique de la vie commune et dont j’espère, comme bien d’autres, qu’elle retrouvera son fondement face aux formes de déliquescence et de barbarie qui infiltrent les rapports entre les êtres et les peuples.