C’est l’édito d’un journal destiné aux femmes, le genre de magazine qu’on lit en cachette chez le coiffeur ou chez sa belle-mère, en se demandant un peu ce que l’on pourrait bien y trouver d’intéressant (spoil : rien). Quelques mots qui se veulent légers, parce que, oui bon d’accord, la guerre, mais quand même, restons glamour. Les vraies priorités. Parce qu’il vaut mieux être belle et rebelle que moche et remoche(1). Parce que « oui, le droit de se faire du bien doit se défendre bec et ongles », nous dit la chroniqueuse, courageusement engagée au service de la cause ultime : la liberté d’être soi.
Alors allons-y pour la beauté fardée, le chic et le fric… Allons-y gaiement et sans souci, le pied léger chaussé d’improbables sandales à franges (550 €), la peau radieuse grâce à l’incroyable masque de nuit (322 €), le sommeil réparé par une somptueuse nuit d’hôtel et un petit-déjeuner « healthy » (3 545 €).
Et pendant que quelques fortunées s’évertuent à ressembler aux classieuses bimbos du magazine, le sort de milliers d’autres se joue loin de leurs regards.
A Marioupol, les femmes meurent au moment même où elles allaient donner la vie. A Boutcha et à Irpin, elles sont violées et tuées, et leurs enfants avec elles. Sur Twitter, Inna Shevchenko(2) partage désespérément les photos qu’elle reçoit de sa famille restée en Ukraine : corps torturés, calcinés, éparpillés dans des villes ravagées. La désolation tout autour.
En Allemagne, elles sont repérées par des proxénètes en mal de chair fraîche et vulnérable. En France, un célèbre « syndicat » se dit prêt « à accueillir les réfugiées ukrainiennes et les aider dans leurs démarches en tant que travailleuses du sexe ». Dans les agences matrimoniales, des hommes s’inscrivent à la hâte pour se proposer d’héberger gracieusement de jeunes Ukrainiennes célibataires. Sur Internet, les requêtes Google « Ukrainiennes », « viol de guerre », « porno de guerre » se hissent en haut de la liste des termes les plus tapés.
La beauté a un prix. Et il vaut mieux être belle et pas trop rebelle que morte. Mais ça, la courageuse rédactrice n’en dit rien.
Chez les coiffeurs huppés des beaux quartiers ou dans le salon feutré de belle-maman, le sort des Ukrainiennes s’évoque du bout des lèvres, entre un nouveau brushing et un petit macaron. Quelque part dans les 118 pages du magazine, entre les portraits élogieux d’une chorégraphe « magicienne » et d’une actrice à la « féminité éblouissante », un artiste témoigne douloureusement de ce qu’il a pu voir à 2 500 kilomètres. Mais ces quelques lignes n’effacent pas le cynisme de la chroniqueuse beauté, qui conclut par ces mots : « La féminité n’est pas un crime (…), faites entrer la beauté. »
Humour et glamour ne font pas toujours bon ménage.
(1) Vincent Cespedes, philosophe et auteur français.
(2) Journaliste et militante féministe ukrainienne.