« Nous voulons, comme tout parent, le meilleur pour nos enfants aveugles ou malvoyants. Nous attendons donc de l’école qu’elle contribue à leur socialisation, leur épanouissement personnel et leur accès aux apprentissages. Ce désir légitime est validé par tous les textes réglementaires, nationaux, européens et internationaux qui affirment que la scolarisation des élèves en situation de handicap est un droit fondamental et que les familles ont le choix de l’organisation du parcours de leur enfant.
Il s’agit bien d’un droit, et non d’une faveur. Les élèves déficients visuels ont le droit d’aller à l’école, comme leurs camarades, au plus près de leur domicile, au sein de l’école du quartier.
Mais l’école inclusive ne se décrète pas et ne se réalise pleinement qu’avec la collaboration entre les différents partenaires et intervenants auprès de l’élève déficient visuel et de sa famille. L’Education nationale ne peut être inclusive toute seule, elle le sera avec les autres.
La scolarisation d’un enfant aveugle ou malvoyant se construit avec les équipes pédagogiques, mais également avec les personnes concernées (parents et enfant) et les spécialistes de la déficience visuelle, qu’ils relèvent du médico-social, du sanitaire ou de l’institution scolaire. L’apport technique de ces derniers est aussi complémentaire que nécessaire pour adapter les pratiques et les supports pédagogiques, pour favoriser l’accès aux ressources documentaires et numériques, pour assurer le bon usage et la maîtrise du matériel adapté, pour garantir l’apprentissage du braille… Sans compter dans cette énumération à la Prévert les accompagnements permettant d’intégrer le développement des sens de compensation, le travail sur les représentations mentales et sur l’autonomie : du déplacement aux actes du quotidien…
Présentées de cette façon, les journées de nos enfants paraissent aussi remplies que celles de nos ministres et renforcent probablement les inquiétudes des personnes ou institutions garantes de leur équilibre.
Mais faisons-nous confiance et ne démultiplions pas les aides faute de dialogue, de ressources et d’empathie. Les obstacles compromettant fortement la réussite de nos enfants à l’école sont trop nombreux pour que l’on en rajoute. Pensons simplicité et humanité !
L’aide humaine, quels que soient le nom et le statut qu’on lui donne (AED, AVS, AVS-i, AVS-co, EVS et maintenant AESH[1]), doit être source d’acquisition d’autonomie pour l’élève, ou condition d’autonomie pour effectuer les actes de la vie courante à l’école et en classe (se déplacer, manger, s’installer, participer…). Elle ne doit en aucun cas intervenir dans le champ dédié des autres professionnels.
Ainsi, laisser croire aux parents et à l’ensemble des acteurs intervenant autour de l’enfant que l’attribution systématique d’une aide humaine comme l’AESH pallierait tous les autres manques en termes d’accompagnement et de compétences spécifiques est inacceptable. Malheureusement, les missions des AESH sont trop souvent détournées et utilisées à mauvais escient.
• L’aide humaine comme moyen de pression : les parents sont toujours aussi nombreux à nous appeler, paniqués et en colère, face au refus de leur établissement scolaire d’accueillir leur enfant faute d’AESH.
• L’aide humaine comme condition de la sécurité : la présence d’un adulte auprès de notre enfant serait une garantie de sa sécurité et de celle des autres à l’école. Il s’agit là d’un chantage moral exercé sur les parents.
• L’aide humaine comme un frein à l’acquisition de l’autonomie : quand l’enfant se repose uniquement sur un adulte, cela peut avoir des effets contraires à ceux recherchés et entraîner une dégradation de son autonomie.
• L’aide humaine comme élément perturbant le lien social : la spontanéité des camarades peut être découragée par la présence permanente d’un adulte auprès de l’enfant.
• L’aide humaine comme palliatif à l’enseignant : rassurés de pouvoir compter sur cet accompagnant, de trop nombreux enseignants se reposent entièrement sur lui et se désintéressent ou se désinvestissent involontairement de l’élève. “Je ne fais pas d’effort pour lire ce que j’écris au tableau puisqu’il y a l’AESH pour le faire…” Oui, mais le jour où cet AESH est absent, l’élève se retrouve en difficulté.
• L’aide humaine comme source de confusion : l’amalgame entre les besoins de l’élève et ceux de l’équipe pédagogique génère des situations conflictuelles et des tensions incompréhensibles du point de vue des parents.
• L’aide humaine comme expédient aux carences du médico-social : à défaut de suffisamment de professionnels spécialisés dans la déficience visuelle sur un territoire, il est trop souvent demandé aux AESH d’endosser plusieurs costumes et de réaliser des tâches qui incombent à d’autres comme la transcription des documents, la reformulation des consignes, la gestion du matériel, l’enseignement du braille…
Nous avons donc des AESH qui réalisent les adaptations des élèves aveugles ou malvoyants alors qu’en même temps, il est refusé que cette aide humaine intervienne à des moments précis et justifiés comme les temps de cantine, les sorties scolaires et activités sortant du cadre pédagogique.
L’école et la classe sont le lieu de l’apprentissage de la solidarité, de la tolérance, de l’entraide, de la responsabilisation… Ne pourrions-nous pas faire confiance à nos enfants pour contribuer à cette école inclusive et afin qu’ils deviennent eux-mêmes les acteurs du vivre-ensemble de demain ?
Est-il idéaliste d’envisager son enfant aveugle accompagné à la cantine par un camarade plutôt qu’un adulte ? La sociabilité, les relations humaines, les normes et les règles de vie, l’autonomie… ces apprentissages et ces acquisitions relèvent d’une dynamique collective que la présence d’adultes tiers peut fragiliser.
Tout parent que nous sommes aurait envie que l’hétérogénéité de la classe et la complexité due à sa gestion soient étayées de démarches solidaires telles que la coopération, le tutorat ou encore la collaboration entre élèves.
L’accompagnement individuel ou maintenant mutualisé des élèves déficients visuels à l’école par les AESH ne se justifie donc pas forcément pour l’Anpea, sauf dans des situations particulières liées à des troubles associés, à des problématiques de santé temporaires ou pour des temps et des matières très précis.
Dans un monde idéal, où toutes les conditions sont réunies pour permettre à nos enfants d’évoluer dans une école aux modalités inclusives, entourés d’équipes qui collaborent et de professionnels formés et disponibles, une aide humaine individualisée n’est pas nécessaire. Envisager que l’école soit dotée de personnel d’accompagnement supplémentaire pour aider l’ensemble des enfants en difficulté, sans être systématiquement assigné à un enfant en situation de handicap, nous paraît plus pertinent en termes de souplesse, de pérennité et de compétences.
Dans le monde tel qu’il est aujourd’hui, nous admettons que nous, parents, sommes les premiers à réclamer des AESH pour nos enfants à défaut de. Bien sûr que nous comprenons et partageons les inquiétudes des équipes pédagogiques qui ne peuvent être spécialistes de tout ; bien sûr que nous sommes rassurés de savoir nos enfants entre les mains d’adultes dévoués… tout en étant bien conscients que cela ralentit leur progression vers une autonomie maximale.
L’Association nationale des parents d’enfants aveugles et/ou malvoyants, avec ou sans handicaps associés s’engage résolument en faveur de l’approche inclusive, dès la petite enfance et à l’école, avec un accompagnement de qualité par des professionnels spécialisés. Et dans ces conditions, l’Anpea envisage en toute sérénité de sortir du tout AESH pour que l’aide humaine soit repensée(2). »
(1) AED : assistant d’éducation ; AVS : auxiliaire de vie scolaire (-i pour une aide individuelle ; -co pour dispositif collectif) ; EVS : emploi de vie scolaire ; AESH : accompagnant des élèves en situation de handicap.
(2) Voir les « Propositions pour une évolution de l’aide humaine à l’école » de la Fédération nationale des associations au service des élèves présentant une situation de handicap (FNASEPH) (septembre 2021).
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