J’étais cette femme qui avait peur de tout. Peur de son mari et peur pour ses enfants, peur de manger et peur de manquer, peur de vivre et peur de mourir.
J’étais cette femme épuisée et apeurée. Morte de trouille.
Il y avait son corps trop fort et le mien si faible, ses mots et ses coups, sa puissance et mes silences. Il y avait tout ce poids sur moi, le sien, le mien, le poids d’une vie trop lourde à porter, cette vie que je traînais malgré tout, pour les enfants, pour les apparences, pour ne pas mourir.
Et il y a eu ce jour de trop, ce mot qu’il ne fallait pas dire, ce coup, une fois de trop. La dernière fois.
Il y a eu la fuite, la valise et les enfants, la maison et le compte vidés, mais qu’importe, j’étais loin, libre, vivante, et je n’avais plus peur. Loin des yeux, loin des poings.
Sans lui, tout est plus compliqué. La maison, les enfants, le travail… Courir toute la journée, du matin au soir et du lundi au dimanche, course effrénée qui ne s’arrête jamais, sans répit ni relais parce qu’il y a toujours un caddie à remplir, un cahier à signer, une lessive à faire. Je m’endors épuisée et me réveille fatiguée, je compte les heures de la journée, il faut réveiller la maisonnée, le cartable n’est pas prêt, il faut aller pointer.
Sans lui, tout est plus simple. Ni cris ni coups, juste le calme retrouvé, et la sécurité de le savoir loin.
Loin ? Pas tant que ça. Il est au bout du fil et au coin de la rue, il ne faisait que passer, me dit-il, il voudrait parler aux enfants, m’implore-t-il.
J’hésite, il insiste, alors j’ouvre la porte, il entre, il ne va pas rester longtemps, promet-il, mais déjà il se fait un café, et il s’installe, il est comme chez lui, comme avant. Il me regarde, m’interroge poliment, le boulot, les enfants, comment ça va ? Et les horaires, pas trop durs ? Comment sont tes collègues ? Et le patron ? Je me fige. Il pose des questions dont il a la réponse. Il sait où je travaille et quel bus je prends. Il connaît mes horaires et mes trajets. Je le croyais loin, il était tout près. Au coin de la rue et au fond du bus, il ne faisait que passer, juste s’assurer que j’allais bien, m’assure-t-il. Et puis nous sommes encore mariés, après tout ! De questions anodines en réponses évasives, il me fait comprendre qu’il est encore là, qu’il peut encore reprendre ce que je lui ai pris. Lui, il est le mari blessé et le père abandonné, je suis partie avec ses enfants et sa dignité. Moi, la femme vénale qui a trop profité, il m’offrait une vie de rêve et j’ai tout gâché.
Et pendant qu’il parle et que j’écoute inquiète, je vois son visage changer et ses poings se serrer.
Il est assis et je suis debout, il est prêt à bondir et je suis prête à fuir. J’ai laissé le loup entrer dans la bergerie. Il était au bout du fil et au coin de la rue, il est dans ma cuisine et je suis en sursis. C’est comme avant, comme toujours. Je sais qu’il va frapper… Mais cette fois-ci, je me défendrai.