Voici tout juste cinquante ans, le 18 mars 1962, ont été signés les accords d’Evian mettant fin à la guerre d’Algérie. Les travailleurs sociaux affrontent alors un problème inédit : en quelques mois, près de 800 000 personnes quittent l’Algérie pour la France. Un défi politique et social sans précédent, à replacer dans son contexte.
La fin de la guerre d’Algérie a accéléré un phénomène migratoire entamé au début du siècle entre les deux pays : lors de la Première Guerre mondiale, des dizaines de milliers d’Algériens sont venus répondre aux besoins de main-d’œuvre en métropole. Encouragés à rentrer en Afrique du Nord dès 1919, certains s’installent dans l’Hexagone, plus ou moins durablement. Environ 100 000 Algériens y vivaient au début des années 1930, essentiellement en région parisienne. Après la Seconde Guerre mondiale, ceux appelés alors « Français musulmans d’Algérie » (FMA) viennent participer à la reconstruction du pays, y compris lorsque la guerre débute en 1954.
Il faut cependant attendre 1961 pour que les autorités françaises se penchent sur la question du potentiel « rapatriement » de populations en métropole, sans que l’ampleur des déplacements ait jamais été anticipée. Dans le cas des harkis, en particulier, l’Etat pense d’abord coordonner leur protection sur place plutôt que les faire venir en France, où leur intégration sera difficile. Mais la violence dont ils font les frais oblige à changer d’optique. Nommé haut-commissaire en mars 1962, Christian Fouchet reçoit pour mission d’organiser le départ puis l’accueil des pieds-noirs et des harkis qui cherchent refuge en France. Pour l’essentiel, ces populations débarquent sur le continent européen pour la première fois, si bien qu’elles sont davantage « réfugiées » que « rapatriées ». Après une première vague de départs relativement maîtrisée, les flux migratoires atteignent 450 000 personnes en mai-juin 1962.
L’installation des rapatriés s’effectue progressivement dans le sud de la France et en région parisienne, où des logements vacants sont réquisitionnés et des programmes de construction de HLM lancés à la hâte. Pour les harkis, l’opération administrative de contrôle et de recensement l’emporte sur l’accueil et l’intégration : ces populations sans aucune attache en France sont d’abord hébergées au cours de l’été dans les camps militaires du Larzac et de Bourg-Lastic, dans le Massif central. Quelques assistantes sociales sont envoyées par les directions départementales de la santé aux côtés des associations pour aider les familles à connaître leurs droits. Parmi les Algériens déracinés, beaucoup rejoignent les bidonvilles, qui constituent une solution d’urgence, tandis que d’autres s’enracinent dans des quartiers populaires. Un nouveau chapitre de l’histoire de l’immigration commence alors. L’année 1962 en constitue une phase décisive marquée par l’urgence, le traumatisme, mais aussi par les solidarités et l’engagement de travailleurs sociaux auprès des plus fragiles.