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La solidarité a un prix

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Créée en 1983, la Journée mondiale du travail social permet de braquer, une fois dans l’année, les projeteurs sur les professionnels. L’occasion de rappeler la crise des vocations sans précédent que traverse le secteur social et médico-social et l’urgence d’apporter des réponses. A commencer par une vraie reconnaissance.

Cela ne va pas changer le monde, il y a tellement de problèmes », pointe Didier Dubasque à propos de la Journée mondiale du travail social, le 15 mars. Pour autant, bien que cette manifestation soit restée longtemps confidentielle en France, l’ancien président de l’Association nationale des assistants de service social (Anas), auteur du blog « Ecrire pour et sur le travail social », reconnaît que l’initiative lancée en 1983 par la Fédération internationale des travailleurs sociaux a eu du bon : « On était tellement peu visibles, cela a eu le mérite de nous forcer à nous mobiliser. »

Aujourd’hui, les professionnels sont dubitatifs. Porté, entre autres, par le Haut Conseil en travail social (HCTS), le mouvement s’est institutionnalisé et les échanges de pratiques avec d’autres pays restent minoritaires. Surtout, le secteur social et médico-social souffre. Ancienne cadre dans un service de la protection de l’enfance, Isabelle Chaumard en sait quelque chose : « Cette journée me fait tristement sourire. Le sujet, c’est que l’Etat et les départements remplissent leur rôle. » Pour cette lanceuse d’alerte, qui a quitté ses fonctions pour se consacrer à l’écriture, pas question de revenir à son premier métier. « Les conditions de travail se dégradent, ça explose de partout dans les structures. Les professionnels n’ont plus les moyens d’exercer correctement. Quand j’étais en fonction, faute d’effectifs, des évaluations ne pouvaient être réalisées après le signalement d’une information préoccupante sur un enfant », se souvient-elle.

Dépités, épuisés, ignorés, les travailleurs sociaux ont battu le pavé ces derniers mois. Le 7 décembre dernier, ils étaient 55 000 à manifester à travers le pays. Oubliés du Ségur de la santé, le gouvernement a fini par les recevoir le 18 février, lors d’une conférence des métiers de l’accompagnement social et médico-social. Résultat : en juin, 170 000 professionnels du secteur privé non lucratif bénéficieront d’une augmentation de 183 € net par mois, rétroactive à partir du 1er avril 2022. Un progrès, certes, eu égard à la faiblesse des salaires (voir encadré), mais l’annonce n’a pas calmé les esprits : indispensables, les surveillants de nuit, les agents d’accueil, d’entretien et de restauration, les éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse, les assistants de service social à l’école, les mandataires judiciaires… se retrouvent, pour l’heure, exclus de cette revalorisation.

La vocation ne suffit pas. Pour preuve, l’hémorragie de compétences que subissent les établissements. Avec 15 % à 30 % de postes vacants, les professions du social et du médico-social n’attirent plus. Les employeurs ne cessent d’alerter depuis l’automne dernier sur le risque de fermeture de certains services, particulièrement en zone rurale. « Il y a une tension dont les travailleurs sociaux ne veulent plus. La crise sanitaire a accéléré le phénomène. A force de tirer sur la corde, elle casse », déplore Didier Dubasque. D’autant que les collectifs s’affaiblissent et que les métiers, déjà très différents les uns des autres, sont en pleine mutation. Pour de nombreux intervenants, le « New Management » et le discours sur l’efficacité s’avèrent incompatibles avec l’aide aux personnes vulnérables. « Les professionnels peuvent avoir le sentiment de ne pas pouvoir lutter contre ces réalités et fuir », estime l’ancien cadre de l’action sociale. Au Royaume-Uni, où le modèle est davantage libéral, un travailleur social reste en moyenne trois ans dans un dispositif puis change. Dans ces conditions, il est difficile de garantir un soutien de qualité au long cours, une relation de confiance entre le professionnel et la personne accompagnée.

Le projet de convention collective unique étendue (CCUE) dans la branche du secteur sanitaire, social et médico-social à but non lucratif (Bass), depuis longtemps au programme et évoqué lors de la conférence des métiers, donne-t-il des raisons d’espérer ? Pas sûr. Si, pour les employeurs, la coexistence de plusieurs conventions collectives freine « la fluidité et le déploiement des parcours professionnels », pour les syndicats, la remise en question de la grille de classification et de rémunération, fixée notamment dans la convention 66 de 1996, pose question. « Nous ne voulons pas de l’instauration du salaire au mérite, de l’évaluation des compétences en lieu et place du respect des diplômes, des qualifications et de l’ancienneté, garants de l’égalité salariale », expliquait la Fédération nationale de l’action sociale FO (totalement opposée à la CCUE) dans un communiqué du 18 février.

Afin de remédier à ce que les responsables du secteur considèrent comme une dispersion des métiers, le HCTS travaille à l’élaboration d’un nouveau référentiel de formation des professionnels. Dans un rapport(1) remis au Premier ministre le 17 février, le conseiller d’Etat Denis Piveteau affirme, pour sa part, que « choisir un métier du travail social, c’est se donner le pouvoir d’agir, avec les personnes que l’on accompagne, pour faire advenir une société inclusive ». Autrement dit, les formations devraient davantage correspondre aux attentes de terrain. Un argument qui laisse Didier Dubasque songeur : « Une réforme des études a lieu tous les trois ou quatre ans. Les travailleurs sociaux n’arrêtent pas de s’adapter. Les difficultés se situent ailleurs. »

D’un salaire à l’autre

En France, un travailleur social perçoit en moyenne à peine 1 800 € net par mois. Autrement dit, pour un éducateur spécialisé ou une assistante de service social en début de carrière, environ 1 300 € net mensuels. Bien loin des salaires octroyés dans d’autres pays. D’après le site Glassdoor, aux Etats-Unis, un professionnel touche entre 50 000 et 60 000 dollars par an, soit environ 3 800 € par mois. Deux fois plus qu’en France, où le salaire moyen annuel avoisine les 25 000 €, contre 24 000 € en Belgique, 26 000 € en Espagne, 38 000 € au Royaume-Uni et 39 000 € en Irlande. La palme revient à la Suisse, avec 74 000 €.

A la différence de l’Hexagone, où le travail social dépend principalement de la puissance publique, dans les pays anglo-saxons, il repose davantage sur les financements privés. De même, des écoles et instituts dédiés dispensent le plus souvent la formation, alors qu’ailleurs (Allemagne, Suède, Finlande, Hongrie, Espagne, Italie, Royaume-Uni, Portugal, Canada, etc.) elle relève principalement d’une discipline enseignée à l’université.

Notes

(1) « Experts, acteurs, ensemble… pour une société qui change ».

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