Une évidence fortement affirmée, dans le débat socio-politique contemporain en protection de l’enfance. Pour autant, le bon sens reste une notion globalement abstraite. Elle ne permet que très partiellement de donner visibilité et lisibilité au travail d’accompagnement des équipes aussi bien qu’aux dispositifs étatiques. Elle n’est pas un outil de travail commun, c’est un ressenti personnel.
Il existe peu d’outils de travail spécifiques à la protection de l’enfance qui amènent à une considération harmonieuse de ce que sont les besoins fondamentaux des enfants. Et cela tant au niveau des établissements et services médico-sociaux (ESMS) qu’au niveau national puisque les départements français sont les chefs de file de la protection de l’enfance et qu’ils agissent selon leur contexte local et de façon non uniformisée.
En 2005, la Cour de cassation a admis l’applicabilité directe de l’article 3-1 de la Convention internationale des droits de l’enfant (Cide) devant le juge interne, le législateur, de son côté, traduisant ledit “intérêt de l’enfant” dans l’article L. 112-4 du code de l’action sociale et des familles comme suit : “L’intérêt de l’enfant, la prise en compte de ses besoins fondamentaux, physiques, intellectuels, sociaux et affectifs ainsi que le respect de ses droits doivent guider toutes décisions le concernant.” Somme toute, la question demeure sur la façon dont sont “guidées” les décisions prises en faveur de l’enfant. Comment sont pris en compte leurs besoins, et pour quels résultats ? Pour une protection matérielle, psycho-socio-affective, les deux ?
Historiquement, de la considération de la seule autorité paternelle lors de la création du système de protection des enfants français(1), à l’exigence de prise en compte des besoins fondamentaux, il s’est écoulé près de deux siècles durant lesquels Françoise Dolto, John Bowlby, Maurice Berger, Boris Cyrulnik, Philippe Meirieu, Nicole Guédeney, Catherine Gueguen… ont fait évoluer la place de l’enfant dans les mœurs et la société. C’est donc assez récemment que l’enfant a été reconnu comme une personne qui a besoin d’un lien d’attachement sécure afin d’assurer son développement cérébral de futur adulte dans les meilleures conditions. Et cela, afin d’éviter de devenir un “enfant fantôme”, un “adulte sans attaches, ni repères”.
Ajoutons à cela que chaque être humain interprète le monde à son échelle personnelle (selon vécu, schèmes de fonctionnement, habitus, histoire, apprentissage…) et cela, même dans un cadre professionnel. Dès lors, la conception d’un référentiel partagé devient un fil rouge optimisant la réalisation de diagnostics non arbitraires, en faveur de l’avenir des enfants. Et par ricochet, au bénéfice de la reconnaissance du travail de terrain.
L’avènement des sciences cognitives qui sont issues des sciences dites “dures” ou “exactes”, apporte ainsi aux sciences humaines et sociales (considérées comme des sciences “molles”, soit inexactes…) un socle expérimental complémentaire et factuel. Les sciences cognitives permettent de cartographier les besoins fondamentaux des enfants quand les sciences sociales et humaines les placent dans un contexte multidimensionnel. Ces dernières sont au cœur des contenus de formation des travailleurs sociaux et ne prônent pas spécifiquement d’outils de travail de diagnostiques et d’évaluation des besoins.
L’utilisation d’outils de travail reste minoritaire et est empreinte d’une connotation péjorative(2) dans les secteurs de la protection de l’enfance et du social en général : “L’évaluation diagnostique enferme, stéréotype, dénature le rapport humain.” Pierrine Robin(3) analyse ce phénomène comme “[…] la crainte propre aux professionnels de perdre leur liberté de penser” et le lie aussi “à l’absence de tradition d’évaluation” dans le secteur médico-social. Ce qui expliquerait “que même lorsque les outils existent, ceux-ci sont peu utilisés”.
Pourtant, les outils diagnostiques sont un levier majeur pour tendre à objectiver les pratiques professionnelles. Ils permettent une prise en compte factuelle puisque appuyés sur des données scientifiques. Ils sont un soutien pour structurer les projets individuels et le travail d’équipe, organiser la charge mentale, favoriser l’harmonisation des pratiques mais également pour optimiser une considération égalitaire des enfants accompagnés.
Les besoins fondamentaux des enfants peuvent être clairement définis et étayés. Huit besoins dits “fondamentaux” ont été identifiés au croisement des différentes recherches sur le sujet(4) : sécurité (également reconnu comme méta-besoin), affection, protection, identité, besoins physiologiques et de santé, expérience, intégrité, cadre éducatif.
Plutôt que de réduire à un diagnostic résultant d’une grille d’évaluation figée, ces nouvelles données engagent la notion clé de “cause à effet”. Celle-ci prend alors tout son sens et met en exergue la distinction fondamentale entre besoins des parents et besoins des enfants. Elle soutient également l’élaboration du travail de distanciation par les acteurs de terrain, si subtil et représentatif de ce secteur.
Objectiver la satisfaction des besoins de l’enfant par l’utilisation d’une méthodologie semble alors primordial, d’autant plus qu’on les confond souvent avec ceux des parents : s’ils vont bien, leurs enfants se porteront bien (mieux). Placer les parents au cœur des processus d’évaluation de la situation de l’enfant et du travail d’accompagnement peut conduire à ce que celui-ci perde son statut de sujet et ne devienne objet. Tributaire du bien-être et des compétences parentales, l’enfant doit pouvoir bénéficier d’un diagnostic spécifique et professionnel. De fait, nous n’utilisons que rarement un vocabulaire commun avec notre hiérarchie, au sein de notre équipe, avec nos partenaires, avec les juges ou les magistrats…
Le bon sens, aussi utile soit-il dans les prémices du professionnalisme, ne peut remplacer la méthode et la réflexion professionnelle. Et si l’outil diagnostique n’est pas une réponse unique pour faire évoluer le secteur de la protection de l’enfance, prôner l’éthique et la technique par un emploi complémentaire des apports en sciences cognitives et sociales semble alors un juste milieu, où l’intérêt primordial de l’enfant a toute sa place. »
(1) Voir « Besoins fondamentaux de l’enfant et protection de l’enfance ; de quoi parle-t-on ? Outils de travail et de réflexions » – Cette tribune d’Elodie Ambroggi est une synthèse de ce document initié au cours de sa formation au Caferuis en 2018 – Tous les documents de travail et de recherche sont disponibles sur https://bit.ly/35st0fB.
(2) Claude Volkmar, in Dossier CREAI Rhône-Alpes, « Protection de l’enfance. Evaluation initiale des situations familiales ».
(3) Ibid.
Pour débattre :