« On n’accompagne pas des femmes sans abri comme on accompagne des hommes sans abri. Parce que leurs trajectoires de vie sont différentes, parce que leurs besoins et leurs attentes sont spécifiques, les approches à développer et les outils à mettre à leur disposition doivent être différents. Aujourd’hui, dans le secteur “sans-abri”, force est de constater que ce n’est pas (suffisamment) le cas. Et L’Ilot n’échappe pas à ce constat », reconnaît l’association belge qui lutte contre le « sans-abrisme » depuis soixante ans, en introduction d’un rapport d’une centaine de pages publié au mois de janvier.
Car le secteur d’intervention des travailleurs sociaux de L’Ilot demeure majoritairement pensé pour les hommes, avec des « infrastructures d’accueil peu/pas adaptées au public féminin », une « inadéquation des outils existants », une méconnaissance des enjeux liés aux droits des femmes, une insuffisance d’espaces dédiés à recueillir leur parole, un « manque de formation des équipes psychosociales à la problématique des discriminations (croisées) de genre », et de données « qualitatives et quantitatives sur la réalité des parcours des femmes », auxquels l’étude entend en partie remédier.
Le rapport souligne ainsi que les opérations de recensement des sans abri dans la région bruxelloise font apparaître une présence de plus en plus massive de femmes et de familles (majoritairement des mères monoparentales), quand toutes les statistiques pointent vers une situation nettement défavorable pour ces dernières face à une précarité encore aggravée par la crise sanitaire. Bien qu’inférieures en nombre aux hommes comptabilisés dans la rue (20,1 % en novembre 2020, selon l’organisme Bruss’Help), elles demeurent largement majoritaires au sein des logements de transit et des dispositifs de crise (74,8 % des adultes). Et l’augmentation des violences conjugales constatée lors des confinements explique en partie la hausse vertigineuse du nombre de mineurs dans ces mêmes structures d’urgence (+ 50,7 %).
En toile de fond du sans-abrisme, les chiffres compilés par le rapport, qu’il s’agisse des inégalités salariales ou du faible taux d’activité des familles monoparentales, dessinent « un tableau assez étourdissant dont le résultat est sans appel : la pauvreté touche bien davantage les femmes que les hommes, et ces dernières sont particulièrement vulnérables aux moments de rupture conjugale, le couple constituant un paravent de leur pauvreté individuelle ».
Quant aux violences sexuelles subies par les femmes livrées à elles-mêmes dans la rue, malgré l’absence de chiffres précis, elles sont d’une effrayante banalité, à en croire les nombreux témoignages compilés par le rapport, qui détaille les stratégies mises en place pour éviter les viols et les agressions : être perpétuellement en mouvement (passer par exemple les nuits dans des bus), tenter de maintenir une « allure soignée » pour ne pas être identifiée comme SDF ou, au contraire, pratiquer une « détérioration volontaire de l’hygiène » en vue de repousser les agresseurs potentiels.
La publication du rapport de L’Ilot intervient au moment où l’Union européenne adopte un plan visant « zéro sans-abri en 2030 », en s’appuyant sur un réseau international dont l’association belge fait partie. Outre une campagne de sensibilisation prévue en 2024, l’Union entend mener une vaste campagne de recensement, quand les derniers chiffres font état de près de 700 000 sans-abri, et la Commission européenne devrait pousser les Etats membres à consacrer davantage de fonds aux politiques de logement et d’hébergement.