Il y a une jeunesse, à Calais, qui a tout traversé. Des guerres, des continents, des mers, et des jours à attendre. Dans les campements, en hiver, la vie quotidienne s’écoule lentement, entrecoupée par les expulsions et des tentatives de passage en camion parfois infructueuses, toujours éminemment risquées.
Pour les mineurs qui gagnent le nord de la France, les solutions sont peu nombreuses, mais elles existent, et les associations sont particulièrement vigilantes. Ce matin de février, comme depuis plusieurs mois, une équipe d’ECPAT, organisation non gouvernementale qui lutte contre la traite et l’exploitation sexuelle des enfants, se rend à leur rencontre sur les lieux de vie. Ses maraudes servent avant tout à lier un premier contact avec les nouveaux arrivants, pour éventuellement les suivre dans la durée. Composée d’une psychologue, d’un juriste, d’une médiatrice culturelle et d’une médiatrice sociale, l’équipe organise des jeux avec les adultes comme avec les enfants, pour renforcer le lien.
Kathleen et Giovanna maîtrisent les langues les plus parlées sur les lieux de vie. Pour la première, le tigrinya, langue parlée en Erythrée ; pour la seconde, l’arabe, qui permet de communiquer avec les enfants originaires du Soudan. Depuis plus de huit mois, l’équipe d’ECPAT suit une petite bande de jeunes. Agés de 14 à 17 ans, ils sont tous arrivés d’Osseylat, un petit village du Soudan. Un groupe de copains comme on pourrait en croiser aux quatre coins du globe. Mais qu’ont-ils traversé avant d’atterrir ici, face à la Manche, face au Royaume-Uni ?
Une fois par semaine, ECPAT organise pour eux des temps d’échange, de parole, de jeux et de cuisine, au chaud, en plein centre-ville. Et, cette semaine, les professionnelles d’ECPAT ont invité les jeunes à évoquer leurs problèmes, leurs souhaits quant à leur avenir. Peu veulent rester en France, malgré les possibilités qui leur sont proposées. Leur principale peur est d’être expulsés vers le Soudan une fois leurs 18 ans atteints.
Ce jour-là, ils ont évoqué le centre d’accueil des mineurs isolés de Saint-Omer, leurs conditions de vie, le racisme qu’ils rencontrent souvent en France, la violence que la police exerce à leur encontre. Kathleen et Giovanna notent tout. Des témoignages parfois durs. « Votre parole compte », lance Kathleen en grattant une grande feuille de papier. « Tout ce que vous nous dites, nous allons le faire remonter, à la préfecture, au centre d’accueil ; cette parole, il faut qu’on la fasse entendre ! » Les minots s’ouvrent, se lâchent, racontent. Avec l’espoir, pour eux, de voir la vie s’améliorer et ne plus être aussi rude qu’aujourd’hui.
Finalement, il ne s’agit que d’enfants. Mais comment leur expliquer que la France peut les aider, alors que leur quotidien est synonyme d’errance, et que l’Angleterre n’est qu’un rêve ? Les travailleurs d’ECPAT y croient. Et se battent.