Mais quelle mouche pique donc l’Europe ? La voilà prête à accueillir les réfugiés ukrainiens « à bras ouverts ». Une semaine après le début de l’offensive russe, la Pologne, qui débutait début janvier la construction d’un mur anti-migrants le long de sa frontière avec la Biélorussie, a offert l’hospitalité à 400 000 Ukrainiens. Même la Hongrie de Viktor Orbán, grand pourfendeur de l’immigration, a laissé entrer sur son sol 90 000 réfugiés. L’inverse, bien sûr, aurait été impensable. Cet élan de solidarité est précieux, essentiel et, somme toute, naturel. Mais faut-il que la guerre frappe à nos portes pour réveiller la compassion du Vieux Continent ? Ces dernières années, ses dirigeants n’ont pas montré la même promptitude à accueillir les réfugiés syriens ou afghans. Deux poids, deux mesures. C’est le signal qu’envoie aussi la Pologne lorsqu’elle repousse à ses frontières de jeunes Africains, alors étudiants en Ukraine.
La France sait qu’elle prendra une part minime dans l’accueil des réfugiés – une centaine à ce jour. Mais elle se mobilise, elle aussi. Les collectivités n’ont pas tardé à répondre à l’invitation du gouvernement, qui appelait « à faire connaître les solutions et alternatives possibles ». Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, soutient la proposition d’octroyer une protection temporaire aux Ukrainiens, qui leur permettra de rester jusqu’à trois ans en Europe et de travailler.
Cette disposition est salutaire. Mais comment ne pas voir, là encore, deux poids, deux mesures ? Dans le dossier que nous consacrons au sans-abrisme, Pascal Brice, président de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) et ancien directeur de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), dénonce une politique d’immigration « dissuasive ». Sur le terrain, les travailleurs sociaux témoignent de l’absurdité des procédures d’asile, devenues une loterie soumise à des logiques qui leur échappent, si ce n’est celle des quotas. Ces exilés, qui constituent aujourd’hui la majorité des 300 000 personnes privées de domicile fixe en France, n’ont, pour l’essentiel, pas accès au marché du travail, ni au logement social.
Si le nouveau paradigme du « Logement d’abord » peine à diminuer le recours à l’hébergement d’urgence et aux logiques de mise à l’abri, c’est en premier lieu faute d’une politique de construction volontariste. Mais c’est aussi en raison d’une politique migratoire qui maintient ces exilés, au mieux, dans des dispositifs saturés, au premier rang desquels l’hôtel. Là encore, deux poids, deux mesures, selon le profil des sans-domicile fixe.