Tant la protection maternelle infantile (PMI) que l’aide sociale à l’enfance (ASE), dispositifs dédiés à la protection de l’enfance relevant de la compétence légale des départements, rencontrent de manière récurrente une série de dysfonctionnements. Pour s’en tenir aux enfants protégés par l’ASE, critiques répétées et postures d’alerte se sont multipliées depuis plusieurs années – rapports alarmants de diverses institutions telles que le défenseur des droits, plaintes des professionnels du travail social et médico-social…
Le diagnostic concret des carences soulignées apparaît nettement dans un rapport de l’Assemblée nationale de juillet 2019 : dysfonctionnement du système d’accueil ; absence quasi systématique de tout soutien psychologique ou de suivi médical régulier ; méconnaissance des droits ; inégalités de traitement selon les départements ; nécessité d’un « retour à l’Etat », sans revenir sur une recentralisation des compétences… tandis que sont mis en exergue l’engagement, le dévouement et la compétence des travailleurs sociaux et des assistants familiaux…
Conscient des enjeux et soucieux de compléter la stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance 2020-2022, le gouvernement a initié, en juin 2021, un projet de loi qui, après maints enrichissements de l’exécutif et des parlementaires, a débouché sur la promulgation de la loi n° 2022-140 du 7 février 2022 de protection des enfants, dite loi « Taquet ».
Le dossier présente les principales mesures de cette nouvelle loi portant sur l’amélioration du quotidien des enfants protégés, une meilleure protection contre les violences, une prise en compte plus effective de l’intérêt des mineurs non accompagnés, des garanties procédurales en matière d’assistance éducative… De réelles avancées, qui ne sauraient cacher doutes, réserves et critiques (voir encadré page 19).
La loi du 7 février 2022 doit être précisée en différents points par des décrets. Elle modifie les codes civil, de l’action sociale et des familles (CASF), de la sécurité sociale, de l’organisation judiciaire, de la santé publique, de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) et le code de la construction et de l’habitation (CCH).
Le texte apporte diverses mesures inédites pour la protection et une meilleure prise en considération des intérêts de l’enfant.
En 2022, plus de 300 000 enfants et jeunes bénéficient d’un suivi de la protection de l’enfance, environ la moitié d’entre eux étant placés en institution ou en famille d’accueil, les autres étant visés par des actions éducatives.
Avant d’envisager un placement à l’ASE, il est procédé à un examen systématique de la possibilité de confier l’enfant à un membre de la famille ou à un « tiers digne de confiance » (ex. : famille, parent d’amis, voisin…). Les conditions d’éducation et de développement physique, affectif, intellectuel et social de l’enfant sont préalablement évaluées (code civil [C. civ.], art. 375-3). Par ailleurs, un référent du service de l’ASE est chargé d’accompagner la personne accueillant l’enfant.
Selon la loi, l’enfant ne doit pas être séparé de ses frères et sœurs, sauf si cela n’est pas possible ou si son intérêt commande une autre solution. S’il y a lieu, le juge statue sur les relations personnelles entre les frères et sœurs (C. civ., art. 371-5).
Si le parrainage déjà effectif est revalorisé, la loi apporte une nouveauté en accordant un mentor à tout enfant pris en charge par l’ASE. Ainsi, « lorsqu’un enfant est pris en charge par le service de l’ASE, quel que soit le fondement de cette prise en charge, le président du conseil départemental propose systématiquement, avec l’accord des parents ou des autres titulaires de l’autorité parentale, si tel est l’intérêt de l’enfant et après évaluation de la situation, de désigner un ou plusieurs parrains ou marraines, dans le cadre d’une relation durable coordonnée par une association et construite sous la forme de temps partagés réguliers entre l’enfant et le parrain ou la marraine. L’association et le service de l’ASE mettant en œuvre les actions de parrainage informent, accompagnent et contrôlent le parrain ou la marraine […]. Le président du conseil départemental propose à tout mineur privé temporairement ou définitivement de la protection de sa famille la désignation d’un ou de plusieurs parrains ou marraines […] » (CASF, art. L. 221-2-6, I).
Il s’agit « de favoriser l’autonomie et le développement de l’enfant accompagné en établissant des objectifs qui évoluent et s’adaptent en fonction de ses besoins spécifiques. Le recours au mentorat doit être proposé à l’entrée au collège » (CASF, art. L. 221-2-6, II).
La considération de la prise en compte de la parole du mineur n’est pas nouvelle. Cependant, le législateur insiste sur la nécessité d’entendre sa parole plus systématiquement encore, par le recours à des auditions en tête à tête avec le juge des enfants (ex. : lors d’une décision d’assistance éducative…).
Le rapport déjà existant concernant la situation de l’enfant, devant être transmis annuellement au juge des enfants, ou tous les 6 mois pour les enfants de moins de 2 ans, est complété par un bilan pédiatrique, psychique et social (C. civ., art. 375, al. 4).
Le juge des enfants peut autoriser le service accueillant l’enfant à exercer un ou plusieurs actes non usuels relevant de l’autorité parentale, sans devoir solliciter cette autorisation, au cas par cas et exceptionnellement, si l’intérêt de l’enfant le justifie, en cas de condamnation ou de poursuite pour des crimes ou délits commis sur la personne de l’enfant (C. civ., art. 375-7).
Un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (Igas) de novembre 2020 avait critiqué l’accueil de mineurs et jeunes majeurs protégés dans des hôtels, jugeant ce mode de placement et d’hébergement peu sécurisant.
La loi interdit d’ici 2024 le placement dans les structures hôtelières des mineurs et jeunes majeurs confiés à l’ASE. En attendant cette date, aucun enfant ne pourra être accueilli plus de 2 mois à l’hôtel, et en tout état de cause dans des conditions de sécurité physiques et éducatives renforcées (art. 7, II).
Le président du conseil départemental doit informer systématiquement le juge en cas de changement de lieu de placement, afin de vérifier que celui-ci est bien dans l’intérêt de l’enfant. Précisément, le service de l’ASE informe le juge au moins 1 mois avant le changement, apportant justification en cas de séparation d’une fratrie, ou dans un délai de 48 heures en cas d’urgence (CASF, art. L. 223-3).
A noter : Un soutien est accordé aux mineurs ou majeurs de moins de 21 ans pris en charge par l’ASE qui revendiquent l’accès à leurs origines : ils sont en effet accompagnés par le conseil départemental dans la consultation de leur dossier (CASF, art. L. 223-7), y compris s’ils ont été adoptés à l’étranger.
La loi du 7 février 2022 pointe également l’intérêt des mineurs émancipés, de ceux qui s’approchent de l’âge de la majorité et ceux post-majorité, jusqu’à l’âge de 21 ans (CASF, art. L. 313-3 et L. 222-5), tout spécifiquement lorsque ceux-ci ne bénéficient pas de ressources ou de soutien familial suffisant ou sont privés temporairement ou définitivement de leur famille.
Un an au plus tard avant sa majorité, un entretien est organisé par l’exécutif départemental avec tout mineur accueilli par l’ASE pour faire un bilan de son parcours, l’informer de ses droits, envisager avec lui et lui notifier les conditions de son accompagnement vers l’autonomie. Dans le cadre du projet pour l’enfant, un projet d’accès à l’autonomie est élaboré par les services départementaux avec le mineur. Y sont associés les institutions et organismes concourant à construire une réponse globale adaptée à ses besoins en matière éducative, sociale, de santé, de logement, de formation, d’emploi et de ressources (CASF, art. L. 222-5-1, al. 1er).
Si le mineur est privé temporairement ou définitivement de la protection de sa famille, il est informé, lors de cet entretien, de l’accompagnement apporté par le service de l’ASE dans ses démarches en vue d’obtenir une carte de séjour à sa majorité ou, le cas échéant, en vue de déposer une demande d’asile (CASF, art. L. 222-5-1, al. 2).
Cet accompagnement légal prévu a pour ambition de mettre fin aux « sorties sèches » de l’ASE à la majorité de l’enfant.
Afin de renforcer la protection du mineur, le principe d’un « droit au retour » à l’ASE des jeunes majeurs avant 21 ans a été acté, même en cas de refus par ceux-ci à 18 ans de prolonger leur accompagnement ou s’ils n’en remplissaient plus les conditions.
Enfin, la loi entérine la possibilité pour le mineur de désigner une personne de confiance et l’obligation d’un entretien avec le jeune 6 mois après sa sortie de l’aide sociale à l’enfance.
La garantie « jeunes », qui permet aux jeunes de 16 à 25 ans en situation de grande précarité de bénéficier d’une allocation mensuelle, doit être systématiquement proposée aux jeunes de 18 à 21 ans passés par l’ASE (CASF, art. L. 222-5-1, al. 4). En outre, ces jeunes majeurs sont désignés prioritaires pour l’accès au logement social (CCH, art. L. 441-1).
La loi énonce l’apport d’un soutien matériel, éducatif et psychologique au mineur qui se livre à la prostitution, même occasionnellement (CASF, art. L. 221-1, 5e ter A).
Soucieuse d’empêcher que des personnes condamnées pour infractions sexuelles soient au contact des mineurs, la loi prévoit que les contrôles des antécédents judiciaires de tous les professionnels et bénévoles intervenant auprès des enfants dans des établissements pour mineurs sont rendus systématiques. Ces contrôles doivent intervenir avant et pendant l’exercice des fonctions (CASF, art. L. 133-6).
En conséquence, la consultation du casier judiciaire et du fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes ainsi que des antécédents judiciaires des personnes visées ci-dessus, en ce compris les assistants familiaux, est rendue obligatoire afin de garantir qu’aucune personne ayant été condamnée notamment pour des infractions sexuelles ne puisse intervenir auprès des enfants.
Les signalements des faits de violence sont désormais réalisés obligatoirement sur la base d’un « référentiel unique partagé ». L’emploi du référentiel national d’évaluation des informations préoccupantes, mis en place par la Haute Autorité de santé, est ainsi généralisé pour les départements (CASF, art. L. 226-3).
Tous les établissements sociaux ou médico-sociaux sont tenus de définir une politique de lutte contre la maltraitance et désigner une autorité tierce indépendante à l’établissement, vers laquelle les personnes accueillies peuvent se tourner en cas de difficultés (CASF, art. L. 311-8).
En outre, des schémas d’organisation sociale et médico-sociale doivent définir les stratégies de prévention des risques de maltraitance et les modalités de contrôle de la qualité de l’accueil et de l’accompagnement (CASF, art. L. 312-4, 6°).
Une définition de la maltraitance est gravée dans le CASF et figure désormais comme un des principes généraux guidant l’action sociale et médico-sociale (CASF, art. L. 119-1) : elle « vise toute personne en situation de vulnérabilité lorsqu’un geste, une parole, une action ou un défaut d’action compromet ou porte atteinte à son développement, à ses droits, à ses besoins fondamentaux ou à sa santé et que cette atteinte intervient dans une relation de confiance, de dépendance, de soin ou d’accompagnement. Les situations de maltraitance peuvent être ponctuelles ou durables, intentionnelles ou non. Leur origine peut être individuelle, collective ou institutionnelle. Les violences et les négligences peuvent revêtir des formes multiples et associées au sein de ces situations. »
La nouvelle loi entend mettre en valeur et sécuriser le métier d’assistant familial, qui est partie prenante dans l’élaboration et le suivi du projet pour l’enfant, le département assurant l’évaluation de la qualité de l’accueil (CASF, art. L. 422-5).
La loi assure une rémunération qui doit être au moins égale au Smic dès le premier enfant accueilli. Autre amélioration : les professionnels pourront bénéficier de week-ends de repos et, d’autre part, la loi encadre le nombre d’enfants à charge et le contrat de travail (CASF, art. L. 423-30 et s.).
Le texte prévoit des nouveautés en matière d’agrément. Ainsi, afin d’éviter que le mineur ne soit victime, l’agrément nécessaire pour exercer la profession d’assistant familial n’est pas accordé si une personne vivant au domicile du demandeur est inscrite au fichier judiciaire des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (CASF, art. L. 421-3).
Si l’agrément est retiré en raison de violence sur le mineur accueilli, il ne pourra pas être renouvelé avant l’expiration d’un délai fixé par décret (CASF, art. L. 421-6), ce quel que soit le département dans lequel la nouvelle demande est présentée.
Les délivrances d’agrément, suspensions et retraits seront inscrits dans le « fichier national des agréments des assistants familiaux ». Ce nouveau fichier a pour objectif de contrôler les assistants familiaux qui exercent dans plusieurs départements, ou qui pourraient changer de département après un retrait d’agrément (CASF, art. L. 421-7-1).
A noter : Adrien Taquet, secrétaire d’Etat chargé de l’enfance et des familles, a indiqué au Sénat, lors des débats parlementaires, que « la loi sera complétée sur ces points par de nombreux ajouts relevant du domaine réglementaire, qui viseront notamment à restructurer la formation initiale et continue des assistants familiaux, pour mieux prendre en compte les évolutions du métier et des profils des enfants, à mieux intégrer les assistants familiaux au sein des équipes pédagogiques du conseil départemental, ou encore à mieux rémunérer l’accueil des enfants à besoins spécifiques. »
La gouvernance nationale de la protection de l’enfance est retouchée, la loi rappelant la position prééminente de l’Etat dans son rôle de coordination de l’ensemble des acteurs de la protection de l’enfance sur le terrain (CASF, art. L. 121-10).
Un groupement d’intérêt public (GIP) pour la protection de l’enfance, l’adoption et l’accès aux origines personnelles est créé afin d’appuyer l’Etat et les conseils départementaux dans la mise en œuvre de la politique publique de protection de l’enfance, d’adoption nationale et internationale (CASF, art. L. 147-14 et s.).
Une nouvelle instance, le Conseil national de la protection de l’enfance est instituée. Elle est composée de représentants des services de l’Etat, de magistrats, de représentants des conseils départementaux, de représentants des professionnels de la protection de l’enfance, de représentants des associations gestionnaires d’établissements ou de services de l’ASE, de représentants d’organismes de formation, d’associations et d’organismes œuvrant à la protection des droits des enfants, de représentants d’associations de personnes accompagnées ainsi que de personnalités qualifiées.
Le conseil comprend un collège des enfants et des jeunes protégés ou sortant des dispositifs de la protection de l’enfance. Il émet des avis et formule toutes propositions utiles relatives à la prévention et à la protection de l’enfance (CASF, art. L. 147-13).
Les parlementaires ont également prévu la création, à titre expérimental, pour une durée de 5 ans, dans les départements volontaires, d’un « comité départemental pour la protection de l’enfance » (art. 37), coprésidé par le président du conseil départemental et par le préfet et réunissant les acteurs locaux de la protection de l’enfance (départements, Etat, autorité judiciaire, professionnels, caisses d’allocations familiales), aux fins d’articuler leurs actions, de définir des orientations communes et de prendre des initiatives coordonnées, notamment en matière de prévention.
En mars 2019, dans un rapport intitulé Pour sauver la PMI, agissons maintenant !, la députée Michèle Peyron (LREM) avait pointé les « faiblesses de la gouvernance » de la politique de protection maternelle infantile, source d’« inégalités sur le territoire », un regard largement partagé par les différents acteurs.
La loi « Taquet » entend renforcer les services existants de PMI dans leur rôle d’acteur pivot en matière de santé publique (art. 32 à 35) (ex. : accent mis sur la pluridisciplinarité…).
Citons la création, à titre expérimental, pour une durée de 3 ans, dans les départements volontaires, d’une « maison de l’enfant et de la famille » (art. 33), visant à améliorer la prise en charge des enfants et des jeunes et à assurer une meilleure coordination des professionnels de santé exerçant auprès d’eux. Cette structure participe notamment à l’amélioration de l’accès aux soins, à l’organisation du parcours de soins, au développement des actions de prévention, de promotion de la santé et de soutien à la parentalité ainsi qu’à l’accompagnement et à la formation des professionnels en contact avec les enfants et leurs familles sur le territoire.
Si des ajustements législatifs sont apportés en matière d’assistance éducative, notamment lors de l’examen systématique de la possibilité de confier l’enfant à un membre de la famille ou à un « tiers digne de confiance » où les conditions d’éducation et de développement physique, affectif, intellectuel et social de l’enfant doivent être préalablement évaluées, la loi entend enrichir les garanties procédurales en assistance éducative.
Ainsi, spécialement dans les dossiers complexes, la loi accorde au juge, à tout moment de la procédure, la latitude d’ordonner le renvoi de l’affaire à la formation collégiale du tribunal judiciaire, celui-ci statuant comme juge des enfants, présidée par le juge des enfants (code de l’organisation judiciaire, art. L. 252-6).
Par ailleurs, pour toute décision d’assistance éducative, le juge doit systématiquement effectuer un entretien individuel avec l’enfant capable de discernement lors de son audience ou de son audition. En outre, lorsque l’intérêt de l’enfant l’exige, le juge des enfants, d’office ou à la demande du président du conseil départemental, demande au bâtonnier la désignation d’un avocat pour l’enfant capable de discernement et d’un administrateur ad hoc pour l’enfant non capable de discernement (C. civ., art. 375-1).
Enfin, observons que la loi donne la possibilité au juge de proposer une médiation familiale quand il ordonne une mesure d’assistance éducative, sauf situations de violence ou d’emprise de l’un des parents sur l’autre (C. civ., art. 375-4-1).
A noter : Dans le cadre d’une mesure d’assistance éducative, dès lors que le mineur est maintenu à son domicile, une personne qualifiée ou le service d’action éducative en milieu ouvert doit apporter aide et conseil à la famille, le juge pouvant ordonner le renforcement et l’intensification de cet accompagnement si nécessaire (C. civ., art. 375-2).
Des dispositions sont destinées à promouvoir une meilleure protection des mineurs non accompagnés (MNA).
• Au-delà de la majorité. La loi ne se cantonne plus aux seuls mineurs mais ajoute les MNA de moins de 21 ans privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et pris en charge par l’ASE (CASF, art. L. 221-2-2).
• Accueil d’urgence et actions du département. Le président du conseil départemental du lieu où se trouve une personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille met en place un accueil provisoire d’urgence. En vue d’évaluer sa situation et après lui avoir permis de bénéficier d’un temps de répit, l’exécutif départemental procède aux investigations nécessaires au regard notamment des déclarations du jeune sur son identité, son âge, sa famille d’origine, sa nationalité et son état d’isolement (CASF, art. L. 221-2-4). Il ne peut être procédé à une nouvelle évaluation de la minorité et de l’état d’isolement du mineur privé temporairement ou définitivement de la protection de sa famille lorsque ce dernier est confié à l’ASE (CASF, art. L. 221-2-5).
• Répartition des MNA. La loi modifie les critères de répartition des mineurs étrangers isolés sur le territoire, qui reposaient jusqu’ici sur un critère démographique et d’éloignement géographique. Dans le but de garantir une répartition plus équitable des efforts entre les départements dans l’accompagnement des jeunes majeurs, est créé le critère des spécificités socio-économiques des départements (ex. : niveau de pauvreté…) (CASF, art. L. 221-2-2).
• Evaluation de la minorité. Tous les départements doivent recourir au fichier d’aide à l’évaluation de la minorité (AEM), l’enregistrement des personnes se déclarant MNA dans le fichier AEM étant ainsi obligatoire, sauf lorsque la minorité est manifeste. Les départements sont tenus de transmettre chaque mois au préfet leurs décisions concernant l’évaluation des personnes se déclarant MNA. Le non-respect par un département de cette obligation entraîne le retrait de la contribution forfaitaire de l’Etat.
• Accès au séjour des MNA. « Dans l’année qui suit son 18e anniversaire ou s’il entre dans les prévisions de l’article L. 421-35, l’étranger qui a été confié au service de l’ASE ou à un tiers digne de confiance au plus tard le jour de ses 16 ans se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention “vie privée et familiale” d’une durée de 1 an » (Ceseda, art. L. 423-22). Par ailleurs, « à titre exceptionnel, l’étranger qui a été confié à l’aide sociale ou au tiers digne de confiance entre l’âge de 16 ans et l’âge de 18 ans et qui justifie suivre depuis au moins 6 mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l’année qui suit son 18e anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention “salarié” ou “travailleur temporaire” » (Ceseda, art. L. 435-3).
Le texte de la loi du 7 février 2022 apporte d’incontestables outils juridiques nouveaux au service des mineurs placés sous protection, largement signalés tant par les élus que par les professionnels de l’enfance.
Il n’en demeure pas moins que des lectures contrastées sont l’occasion de débats.
Parmi les réactions à la nouvelle loi, celle de Stéphane Troussel, Philippe Gestin et Jean-Pierre Rosenczveig.
• Stéphane Troussel est président (PS) du département de la Seine-Saint-Denis, un territoire de 1,6 million d’habitants et rencontrant d’importants problèmes d’ordre social. Selon lui, la loi reste un texte qui ne dépasse pas le stade de « l’incantation des bonnes intentions, sans profondeur ni moyens dédiés », proposant des « progrès en trompe-l’œil ».
• Philippe Gestin est sociologue, juriste en droit de l’aide et de l’action sociales, à la tête depuis 2000 d’un établissement de l’ASE en Seine-Maritime. Il évoque des « progrès notables », notamment « l’obligation de prise en charge des sortants de l’ASE après 18 ans », de même que « le “droit au retour” [vers l’ASE] est également une évolution positive ». Cependant, Philippe Gestin déplore, entre autres choses, que « le texte crée de facto deux catégories de jeunes : ceux qui étaient à l’ASE avant leurs 18 ans, qui bénéficieront d’une obligation de prise en charge sous certaines conditions, et les autres de 18 à 21 ans, qui “peuvent également” être aidés mais de manière facultative ». En outre, il relève que « la prise en charge des frais des jeunes majeurs par l’Etat repose sur une enveloppe très réduite de 50 millions d’euros pour 101 départements alors que l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss) a évalué les besoins à 700 millions » …(1).
• Jean-Pierre Rosenczveig est un ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny, en Seine-Saint-Denis. Spécialiste des questions de protection de l’enfance, en première ligne au quotidien dans la prise en compte des intérêts des enfants – mineurs et jeunes majeurs, il note que, « sans être une “grande” loi au regard de l’histoire de l’action sociale, des avancées sont relevées »(2).
Plus globalement, diverses critiques ont été émises qui relèvent que certains aspects de la protection à accorder aux mineurs ne sont pas assez développés, dont la protection maternelle et infantile ou le soutien aux mineurs non accompagnés…
(2) Voir la tribune, ASH n° 3244 du 4-02-22, p. 34. Et aussi dans les milieux juristes en matière de protection de l’enfance, Flore Capelier : « La protection des enfants : une “petite loi” pour de petits pas » – Forum Dalloz, 23 décembre 2021.