Ces mécanismes sont là depuis très longtemps et se sont accélérés. Les relations entre l’Etat, les associations et le secteur médico-social ont commencé à changer dès les années 1980. Cela a donné lieu à la décentralisation, la création d’agences, le recours aux acteurs privés, la multiplication des partenariats publics-privés (PPP). Des entreprises, des start-up, pénètrent ces PPP, avec le soutien des pouvoirs publics. Désormais, les financements des établissements tels que les Ehpad, les coûts engendrés par les lits d’enfants placés, etc. sont prioritaires. L’usager, le bénéficiaire, la personne accompagnée devient un client. Un mécanisme marchand est né de cette contractualisation. L’inflation des PPP amène à croire que le secteur associatif est complètement has been et que des organismes plus perfomants en termes de technicité vont résoudre les problématiques de manière plus économique. Dans sa logique perpétuelle de réduction du déficit public, l’Etat ne se désengage pas : ce n’est pas moins d’argent, c’est de l’argent autrement, et ceux qui en bénéficient sont ces start-up qui viennent capter des fonds auxquels les associations traditionnelles ne pourront jamais accéder.
Ces start-up sont dirigées par des profils de personnes qu’on ne retrouve pas dans le milieu associatif, avec un capital financier très élevé, un réseau… Beaucoup sont diplômés de l’Essec. Depuis le début des années 2000, cette école de commerce porte haut et fort le courant de l’entrepreuneuriat social et a contribué au développement de cette culture Cette financiarisation du secteur reconfigure le travail : on ne fait plus la promotion du CDI, chacun doit monter son affaire, il faut être flexible, entrepreneur, et cela produit beaucoup de souffrance au travail.
Sans la confiance entre pouvoirs publics et secteur associatif, on entre dans des logiques performatives. Mais comment juger la performance sur des métiers d’aide ? Le principe de la start-up, c’est d’obtenir des financements sur un temps court. L’action sociale s’inscrit dans la prévention des risques de la vie, donc le temps long. Action sociale et recherche de bénéfices ne sont pas compatibles. On le voit avec le scandale lié au groupe Orpea. C’est toute une culture du travail qui fait le sens de l’existence d’une structure, pas seulement la logique lucrative.
L’apparition des start-up s’est faite progressivement à partir des années 2000 et l’irruption du numérique. Celui-ci a ouvert une fenêtre vers le monde mais a aussi dénaturé certains métiers : une assistante sociale qui doit remplir un rapport sur une plateforme avec une heure pour réaliser un entretien, un diagnostic et une proposition, ce n’est plus le même travail qu’avant. La singularité de l’usager disparaît au profit d’une standardisation de l’intervention et de la relation. Il y a moins de personnel présent dans les lieux dédiés, comme les CAF, la sécurité sociale… La dématérialisation a créé des brèches : les services publics s’appauvrissent et les start-up apparaîssent pour prendre la place de ce qui était jusque-là gratuit et qui devient payant.
Le phénomène a démarré aux Etats-Unis, où le modèle d’intervention sociale est passé aux mains du privé. Les entreprises de l’ESS restent des entreprises, avec une logique d’entreprise, même si elles se rangent du coté du social. Le vrai fondement est de faire de l’argent. On demande aux associations de se conformer à ce modèle pour être « autonomes », sauf que c’est quasiment impossible. Au final, ce système profite aux personnes qui sortent d’écoles de commerce et n’enraye en rien les difficultés sociétales et les inégalités sociales.