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Départements sur la défensive et prestataires avisés

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Questions éthiques, crainte de dérives… L’émergence de start-up dans le secteur de l’accueil familial laisse perplexes les conseils départementaux, à qui revient la charge d’organiser ce mode d’hébergement. De leur côté, les jeunes pousses dénoncent l’inertie des institutions.

L’irruption des start-up a suscité une véritable levée de boucliers chez les acteurs traditionnels de l’accueil familial. A commencer par les conseils départementaux eux-mêmes, chargés de l’agrément et du contrôle des professionnels, de leur formation et du suivi social et médico-social des personnes accueillies. Rapidement, des agents départementaux se sont mobilisés pour contrer ces nouveaux arrivants sur le marché, jugés commercialement agressifs et, surtout, inaptes à gérer la complexité des dossiers. Presque aucun de leurs salariés n’ayant d’expérience dans le secteur médico-social. On leur reproche particulièrement de mettre en avant des solutions pour personnes âgées, alors que l’accueil familial concerne majoritairement des personnes en situation de handicap. Autre grief : la mise en relation, voire le « placement », sans tenir compte ni des agréments ni de la présence d’autres accueillis dans la famille.

Des échanges internes à plusieurs départements, dont nous nous sommes procuré copie, mettent ainsi en garde contre d’éventuels « abus de faiblesse ». Ils réaffirment aussi la place de la collectivité dans ce dispositif et la gratuité du suivi médico-social de la personne accueillie. Un responsable d’une association conventionnée par un département du Grand Ouest confie, sous couvert d’anonymat : « La start-up CetteFamille a demarché à plusieurs reprises le département et les accueillants familiaux. Elle a mis en relation des bénéficiaires et des familles d’accueil et a ensuite disparu. Le département s’est retrouvé à devoir gérer des situations explosives sans aucune réponse de CetteFamille. Cette société n’envisage l’accueil familial que du point de vue financier. Mais il ne peut pas se résumer à cela, il résulte d’un choix de vie de la part des accueillants et des accueillis. Ce n’est pas un placement. » Même son de cloche dans un département voisin : « CetteFamille nous a écrit pour nous dire qu’elle voulait nous faire une proposition qui nous permettrait de gagner de l’argent. De notre point de vue, il est éthiquement très gênant que le monde marchand démarche des personnes vulnérables. »

Recrutements en cours

Seuls deux départements ont fait appel à CetteFamille. Tout d’abord, l’Orne, où se situe le siège de la start-up. Le département l’avait chargée de développer l’accueil familial en 2018 et il n’a pas renouvelé son contrat d’un an. Motif ? « Le protocole avait pour objet de favoriser la mise en lien de l’entreprise avec les accueillants familiaux qui le souhaitaient, pour bénéficier d’un appui administratif en contrepartie d’un abonnement. Il n’a pas été reconduit, le conseil départemental de l’Orne optant pour une internalisation de l’ensemble des missions relevant de l’accueil familial. De plus, avec le développement du service Cesu de l’Urssaf, les formalités administratives ont été simplifées. » Un argument qui assombrit la promesse d’épargner aux deux parties les difficultés de gestion de leurs dossiers et sonne comme un désaveu. « C’est un manque de volonté politique de la part du département », rétorque le fondateur, Paul-Alexis Racine Jourdren.

En novembre 2020, le Pas-de-Calais, troisième département en nombre d’accueillants familiaux (380) et de personnes accueillies (720 places), a nommé CetteFamille tiers régulateur. Pour 89 272 € annuels, la start-up doit assurer le suivi administratif des dossiers d’accueil familial. Au sein du conseil départemental, Fabienne Nowacki explique que l’objectif est « d’alléger la charge de nos équipes sur le suivi administratif qui est très chronophage. Le cadre de la convention avec CetteFamille est très bien défini. Ils ne gèrent que cet aspect administratif. A ce jour, nous sommes satisfaits de leurs services, ils sont très réactifs. Même les sceptiques du conseil départemental sont maintenant convaincus. Mais nous restons très vigilants car nous connaissons les réserves des autres départements. »

De son côté, MonSenior n’a pour l’heure réussi à proposer ses services qu’à un seul département, celui du Rhône, qui l’a nommée tiers mandataire dans le cadre d’une convention expérimentale. Depuis décembre 2020, la start-up a pour mission de développer l’accueil familial dans le département, notamment en recrutant de nouveaux accueillants familiaux. « En cinq mois, on a triplé le nombre de demandes d’agrément sur le département. On est bien au-dessus des objectifs qu’on s’était fixés », se réjouit le directeur Alexandre Nicolet. Face aux difficultés à contractualiser avec les départements, CetteFamille et MonSenior ont été forcées de revoir leur stratégie de développement : « On ne cherche pas à travailler avec les départements, ce sont des structures réticentes au changement mais plutôt avec les hôpitaux, les cliniques », explique Alexandre Nicolet. Le dirigeant de CetteFamille embraie : « L’administration française et l’inertie, c’est une longue histoire. Quand je me suis lancé en venant du privé, je pensais qu’on allait travailler main dans la main avec les associations et les pouvoirs publics, et en fait tout le monde se tire dans les pattes. A ce rythme-là, je suis convaincu que l’accueil familial va mourir. »

Faute de susciter l’enthousiasme auprès des services publics, ces jeunes entreprises ont trouvé d’autres voies d’expansion : CetteFamille a signé avec une cinquantaine d’associations de tutelle et de curatelle qui lui ont délégué la gestion administrative des personnes accueillies dont elles ont la charge. La start-up assure également des formations pour les accueillants familiaux et met à disposition des mutuelles et caisses de retraite un service de débordement téléphonique pour gérer leurs pics d’appels. Depuis 2020, elle propose en outre à ces mêmes mutuelles et caisses de retraite (Malakoff Humanis, IRP Auto, La Mutuelle familiale, notamment) des services via la réalisation de diagnostics pour trouver des solutions d’hébergement aux adhérents.

Certaines initiatives de CetteFamille ont fait hausser quelques sourcils dans le milieu de l’accueil familial. Comme le partenariat avec la charpenterie Combles d’en France, pour l’agrandissement immobilier, des propositions assurantielles et des e-mails proposant des jeux-concours à l’issue desquels les grands gagnants se verraient récompensés d’une plancha. Plus récemment, CetteFamille a aussi organisé des rendez-vous virtuels entre accueillants familiaux pendant la crise sanitaire, assimilés par certains à des réunions Tupperware. « J’ai assisté à l’une de ces réunions afin d’échanger avec mes pairs, explique un accueillant du Cantal. Mais nous n’avons pas pu ouvrir la bouche. Nous avons seulement eu le droit d’écouter les offres de prestataires commerciaux cherchant à vendre des assurances, des alarmes pour personnes âgées et j’en passe. »

Quand le lobbying paie

Le rapport parlementaire de décembre 2020 sur l’accueil familial des députées Josiane Corneloup (LR) et Mireille Robert (LREM) fait la part belle à CetteFamille et MonSenior, citées extensivement. Josiane Corneloup a rencontré CetteFamille dès 2018 : elle avait à l’époque déposé une proposition de loi en faveur du salariat des accueillants familiaux. Une idée défendue par CetteFamille, retoquée par la ministre de la Santé de l’époque, Agnès Buzyn. « Je suis intimement convaincue qu’au-delà du salariat, nous avons besoin d’un tiers qui anime et fédère ses accueillants familiaux et les accompagne dans les problèmes qu’ils peuvent rencontrer. Il manque un maillon à la chaîne, le département ne peut pas assurer à lui seul l’animation autour de l’accueil familial », explique la députée. Mireille Robert s’est, par ailleurs, rendue dans les bureaux de MonSenior en mars 2021. « On travaille ensemble régulièrement », précise Alexandre Nicolet, patron de la start-up. Les solutions avancées par cette jeune société sont également louées dans le rapport de la députée Véronique Hammerer (LREM), publié en avril 2021 dans le cadre de sa mission flash sur les actions de prévention de la perte d’autonomie du régime agricole.

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