La hausse du prix de l’énergie a remis en lumière la question de la précarité énergétique. On le sait, environ 12 millions de Françaises et de Français n’ont pas les moyens de se chauffer correctement ou vivent dans des logements qualifiés de « passoires thermiques ». Aborder cette thématique sur le temps long renvoie à la fois à l’évolution des techniques de chauffage et à la construction sociale des normes de confort.
Le terme de « chauffage » vient d’un mot latin désignant le droit de prélever du bois mort pour le feu. Pendant plusieurs siècles, en effet, le bois est resté le principal combustible utile à la vie quotidienne des individus. Les historien(ne)s du Moyen Age ont montré comment, à partir du XVe siècle, les défrichements dus à la croissance démographique ont fait craindre une pénurie de bois entraînant une politique de conservation des forêts. Le bois est utilisé dans des foyers, puis des cheminées placées en différents endroits de l’habitation, selon les régions et les types de construction, mais aussi dans des braseros et des poêles de plus en plus sophistiqués, mis au point dans l’Europe germanique. Au cours du XIXe siècle, le charbon prend peu à peu le dessus : avec l’abaissement des coûts de transport, il est plus aisé de l’expédier d’une région à l’autre.
Au siècle suivant, le chauffage central, qui se développe à partir des années 1930, permet de diffuser la chaleur dans les différentes pièces d’habitation. Des chaudières au fioul ou à gaz sont installées dans les logements de la société des Trente Glorieuses, tandis que les premiers convecteurs électriques sont commercialisés à partir de 1971. On cherche aussi des alternatives aux énergies fossiles : ainsi, on considère que le « mur Trombe » permettrait de remplacer celles-ci par l’énergie solaire. Cette tendance s’accélère à la suite de la crise pétrolière de 1973, qui fait de l’économie d’énergie une priorité. Les nouveaux appareils, plus performants, ont des rendements plus élevés garantissant une réduction des pertes.
Etudiant l’évolution des normes de confort liées au chauffage, l’historien Renan Viguié montre qu’au cours du XXe siècle la température idéale est le résultat d’un consensus entre plusieurs acteurs : ingénieurs, hygiénistes, spécialistes de l’économie domestique, entreprises, pouvoirs publics ou encore associations. Comprise entre 15 et 20 °C, elle varie selon le type de chauffage et le statut social des publics. La publicité assurée par les entreprises joue aussi un rôle important dans la construction des normes de confort : dès 1920, la Compagnie nationale des radiateurs promet ainsi de « créer un petit Midi à domicile ». Plus tard, c’est le politique qui entreprend de définir les seuils de la « bonne » chaleur : en 1974, une loi prévoit une température maximale dans les logements (20 °C, puis 19 °C en 1979).
Cette stabilisation correspond à un équilibre entre des enjeux énergétiques, économiques et techniques. Lutter contre la précarité énergétique apparaît donc comme une priorité au nom de la défense de conditions de vie décentes et d’une gestion plus durable des ressources.