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« Les jeunes ont besoin de seuils de passage, pas d’âge couperet »

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Sur le point d’atteindre leur majorité, des jeunes placés se retrouvent lâchés par l’aide sociale à l’enfance et livrés à eux-mêmes en dépit de la protection dont ils font l’objet. Un abandon que Philippe Gestin qualifie d’« inédit ».
On entend beaucoup parler du problème des jeunes majeurs de l’ASE ces dernières années. Où en est-on ?

On sent un frémissement autour de cette question. En témoignent la nomination en 2019 d’un secrétaire d’Etat aux familles et à la protection de l’enfance, la constitution de mouvements collectifs d’anciens de l’ASE, la publication de nombreux livres de témoignages ainsi que des reportages sur les conditions de vie des enfants placés. Le grand public étant de plus en plus informé, une prise de conscience apparaît, les médias y sont pour beaucoup. Ce contexte a poussé le gouvernement à travailler sur une nouvelle loi, malheureusement insatisfaisante et même, à certains égards, inquiétante.

Pourquoi ? N’y-a-t-il pas des avancées ?

Les progrès notables sont l’obligation de prise en charge des sortants de l’ASE après 18 ans. Le « droit au retour » est également une évolution positive : un ancien de l’ASE pourra revenir demander un soutien si sa situation ne s’arrange pas. L’entretien obligatoire, six mois après la sortie de l’ASE, indique également que le légis­lateur considère qu’il existe clairement une responsabilité du département envers ces jeunes après leur majorité. Mais ces évolutions sont contrariées par une conditionnalité importante dans laquelle les départements pourront s’engouffrer. Et le texte crée de facto deux catégories de jeunes : ceux qui étaient à l’ASE avant leurs 18 ans, qui bénéficieront d’une obligation de prise en charge sous certaines conditions, et les autres de 18 à 21 ans, qui « peuvent également » être aidés, mais de manière facultative. Le risque est élevé que les départements excluent ceux qui n’entrent pas dans le champ législatif. De plus, même pour les anciens de l’ASE, la prise en charge est soumise à leurs ressources économiques et à l’absence de soutien familial. Autrement dit, une vision très limitative de l’accompagnement qui leur est dû. En outre, comme le texte évoque l’attribution de la « garantie jeunes » à tous les sortants de l’ASE, les départements pourront, s’ils le souhaitent, se référer à ce revenu pour ne pas leur attribuer d’autres aides. Enfin, la prise en charge des frais des jeunes majeurs par l’Etat repose sur une enveloppe très réduite de 50 millions d’euros pour 101 départements, alors que l’Uniopss a évalué cette utilité à 700 millions.

Comment les jeunes majeurs sont-ils devenus l’« angle mort » de notre système de protection sociale ?

Quand, en 1974, la majorité est passée de 21 à 18 ans, on a continué à prendre en charge les jeunes majeurs grâce à deux décrets. Le dispositif a été maintenu au début de la crise économique des années 1980, puis, progressivement, de très nombreux départements en ont fait une variable d’ajustement de leur politique budgétaire.

Ensuite, en raison de ce choix, des dynamiques ont été mises en place. Comme l’orientation vers le droit commun, de plus en plus affirmée avec le temps ; l’apparition de l’âge couperet dès 18 ans (alors qu’avant on était sur un seuil allant de 18 à 21 ans qui correspondait beaucoup plus à la période d’autonomisation vers l’âge adulte) ; puis, depuis cinq ans, l’instauration de la notion de « grand mineur », qui n’a aucun fondement juridique. Ces choix ont installé progressivement une espèce de « droit mort » à l’aide sociale entre 18 et 21 ans dans de nombreux départements.

Le renvoi de ces jeunes vers le droit commun est-il une erreur, selon vous ?

C’est une négligence importante : on ne peut pas limiter la prise en charge des jeunes majeurs à une problématique de l’emploi ou de la ressource. Elle est beaucoup plus générale et liée à la question de l’attachement, des carences affectives et relationnelles, des relations familiales, de la capacité à se construire des liens électifs, à se maintenir en emploi… Cette vision nie la question des seuils de passage. En France, selon les sociologues, le passage à l’âge adulte s’effectue entre 18 et 24 ans, avec une moyenne de sortie des foyers à 24 ans et des soutiens économiques qui perdurent jusqu’à 28 ans. On est très loin des sortants de l’ASE qui se retrouvent à 18 ans sans ressources ni soutien, avec un niveau de vie en deçà du seuil de pauvreté. On estime que 24 % des sans domicile fixe sont des anciens de l’ASE et, dans la tranche des 18-24 ans, ils représentent 33 % des personnes sans abri.

Vous parlez d’un « abandon inédit »…

Oui car, dans le même temps, les autres droits et prestations sociales – comme le RSA [revenu de solidarité active], l’APA [allocation personnalisée d’autonomie], la PCH [prestation de compensation du handicap] – n’ont jamais été remis en cause. Au niveau des jeunes majeurs, un choix beaucoup plus dur a été effectué. Il ne viendrait à l’esprit de personne de supprimer l’aide sociale aux personnes âgées ou handicapées. C’est pourtant ce que l’on a fait avec les jeunes majeurs. Alors qu’ils ne représentent que 25 000 jeunes par an, contre 2 millions de bénéficiaires pour le RSA, 1,3 million pour l’APA et 300 000 mineurs pris en charge par l’ASE. Pas de quoi déstabiliser le budget d’un département !

De plus en plus d’anciens de l’ASE se mobilisent et prennent la parole. Qu’en pensez-vous ?

Ces jeunes qui décident de se regrouper en association, d’alerter collectivement et de soutenir leurs « pairs » pris en charge aujourd’hui, montrent tout d’abord qu’ils ont bénéficié d’une sensibilisation à la citoyenneté quand ils étaient à l’ASE, qu’ils sont pour la plupart intégrés. Ce qui rééquilibre les reportages négatifs que l’on a pu voir sur l’institution. Certains font même partie, au même titre que les professionnels, du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE). Une façon de co-construire les politiques d’action sociale qui reflète le droit à la participation individuelle et collective mis en place récemment dans les établissements. Ce mouvement de participation citoyenne qui tend à régler les problèmes de pair à pair, et non plus seulement dans la verticalité, prend sa source dans la loi du 2 janvier 2002, qui rééqui­libre les pouvoirs entre les professionnels et les personnes accueillies, avec l’idée de faire valoir le point de vue de celles-ci au sein de la société au-delà de leur passage en établissement.

Quelles sont vos propositions pour remédier à ces dysfonctionnements ?

Il faut permettre aux jeunes majeurs de bien se construire. Pour cela, ils ont besoin de temps et d’une aide sociale globale s’appuyant sur un seuil de passage entre 18 et 25 ans, et non sur un âge couperet à 18 ans. L’Etat doit imposer aux départements une force contraignante. On ne peut pas avoir 101 politiques sociales différentes. Il ne s’agit pas forcément de recentraliser l’aide sociale à l’enfance mais d’assurer un fléchage des financements et une articulation plus fluide et transparente entre la compétence normative de l’Etat et la mise en œuvre des départements.

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