Les résultats d’une récente enquête épidémique montrent que 34 % des enfants de 2 à 7 ans et 21 % des 8-17 ans sont en situation de surpoids ou d’obésité. En suivant les analyses de l’historien Georges Vigarello, il est possible de retracer les principales étapes de l’évolution du regard porté sur ces personnes depuis la période médiévale.
Jusqu’à l’époque contemporaine, la perception des individus en surpoids est marquée par une certaine ambivalence. Si le « glouton » est, d’une part, coupable du péché de gourmandise, il est d’autre part associé à la force et à la bonne santé. L’opulence est synonyme de pouvoir. Progressivement, à la Renaissance, le « gros » devient le « grossier ». On se met à utiliser toutes sortes de techniques pour lutter contre le surpoids, ceintures et corsets s’ajoutant à la pratique de la saignée et de la purge. Une nette évolution apparaît à l’époque des Lumières. Le terme « obésité », introduit dans le dictionnaire de Furetière en 1701, désigne une maladie due aux excès de nourriture et à la sédentarité, mais aussi à une déficience de l’organisme qui ne brûle pas suffisamment de calories (le terme n’est alors pas encore employé). Cependant, l’image du bourgeois ventru s’impose comme un signe de respectabilité.
Au XIXe siècle, la médicalisation entreprise un siècle plus tôt se renforce alors qu’on pratique des mesures du corps afin d’établir des normes. La stigmatisation des personnes en surpoids s’accentue. Avec d’autant plus de force que ces dernières sont des femmes, censées rester minces et en phase avec un nouvel idéal de beauté. Désormais, les médecins s’acharnent à traiter les corps considérés comme trop gras et à dénoncer toutes les formes d’excès. Aux douleurs physiques s’ajoutent peu à peu la souffrance psychique que subissent les personnes obèses, victimes de moquerie et d’une stigmatisation croissante. Ces mutations du regard sur l’obésité apparaissent dans un ouvrage écrit en 1922 par Henri Béraud, Le martyre de l’obèse, qui insiste sur les effets psychologiques de l’acharnement des médecins contre le surpoids. Condamnée à détester son corps, la personne se dévalorise et se trouve disqualifiée en société.
L’essor de la consommation de masse au XXe siècle brouille les frontières entre les catégories sociales : dorénavant, les classes populaires se trouvent surreprésentées parmi les personnes obèses. La société valorisant le rendement et le muscle, le marché de l’amincissement se développe tout en demeurant sélectif. Devenue une maladie de société, l’obésité fait ainsi l’objet de politiques de santé publique, à l’instar de « Mission : retrouve ton cap », un programme de prévention infantile porté par l’assurance maladie et le ministère des Solidarités et de la Santé dans quatre départements français depuis 2018. Des politiques nécessaires qui, en plus de faire évoluer les regards, doivent lutter contre les inégalités.