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Un maillon fort de la chaîne sociale

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Enfance en danger, violences intrafamiliales, maltraitances… A chaque « cause », un numéro national d’écoute, unique et gratuit. Sa vocation : apporter une aide ponctuelle et rapide aux appelants. Mais la formation et la reconnaissance de ces nouveaux professionnels laissent encore à désirer.

Depuis les révélations sur la gestion des Ehpad dans le groupe Orpea, l’afflux d’appels est tel que la sonnerie ne cesse de retentir au 39 77, le numéro d’appel unique dédié à la lutte contre la maltraitance des personnes âgées et des adultes en situation de handicap. À l’autre bout du fil, les écoutants s’efforcent de répondre au plus grand nombre, particuliers ou professionnels, témoins ou victimes, sans rogner sur la qualité de leur intervention. « Ce qu’il faut, c’est qu’à la fin de l’entretien téléphonique, l’appelant ait été mis en confiance. Qu’il soit rassuré et que la situation soit assez claire pour que l’écoutant puisse la retranscrire correctement dans le logiciel », synthétise Isabelle Gillet, responsable de la plateforme.

Voilà la mission principale d’un service de téléphonie médico-sociale. En France, ces numéros d’appel, gratuits et confidentiels, existent par dizaines pour répondre à de nombreuses situations de crise ou de détresse. À la croisée du sanitaire, du social et du soutien psychologique, ils centralisent les requêtes, réunissent les renseignements et orientent. Leur mission : apporter une aide, informative ou thérapeutique, à la fois personnalisée et anonyme, et construire avec les appelants une réponse à leur situation.

Aux manettes, des associations ou des structures publiques ou privées, dont le rôle, bien qu’essentiel, reste trop souvent méconnu. « Les personnes pensent parfois que nous sommes juste un numéro qui va les aiguiller. Un peu comme le ferait une plateforme de renseignements, déplore Françoise Brié, directrice générale de la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF), gestionnaire du 39 19. Or, derrière un numéro d’appel unique, se cache en réalité une équipe de professionnels, dont la mission est de recueillir la parole des femmes et de faire en sorte qu’elle soit entendue. »

Spécifique, le soutien par téléphone suppose en effet d’être rompu, sinon sensible à l’exercice de la relation d’aide à distance. Pour cette raison, certaines lignes médico-sociales choisissent de ne recruter que des professionnels de santé mentale, quand d’autres s’en remettent à des oreilles attentives aux profils variés. Travailleurs sociaux, psychologues ou encore juristes se côtoient ainsi sur un même plateau d’appel. « Chez nous, les écoutants sont issus d’horizons divers : protection de l’enfance, juridique, psychologie, éducation, etc. Mais ce sont surtout des professionnels ayant la capacité d’avoir une vision à 360° et de traiter tous types de sujets. La pluridisciplinarité est notre richesse, chacun ayant la possibilité de mettre ses compétences au service de ses pairs », justifie Pascal Vigneron, directeur du Service national d’accueil téléphonique pour l’enfance en danger (Snated-119).

Formation hétérogène

Bénévole ou salarié, l’écoutant est dans tous les cas initié aux rouages de la téléphonie sociale. Une formation qui lui donne des notions théoriques (juridiques, de recueil de la parole, de soutien à la parentalité, etc.), mais surtout le temps nécessaire à la pratique, au moyen d’une double écoute, passive et active, supervisée par un professionnel plus chevronné. Généralement concoctés « maison », le contenu et la durée de ces apprentissages varient toutefois d’un organisme à un autre. Un manque d’uniformité qui a incité 12 acteurs de la téléphonie sociale à se regrouper au sein du collectif TeSS (Téléphonie sociale et en santé). Objectif : mettre les forces en commun pour s’emparer du chantier de la formation. « Il y a un travail en cours avec la FAS (Fédération des acteurs de la solidarité, ndlr) pour pouvoir proposer une formation type, commune à tous les écoutants. Mais pour le moment, chacun se débrouille en interne », explique Pauline Boiral, coordinatrice du SIAO 48 (Lozère). Autre chantier prioritaire : la reconnaissance des métiers de la relation d’aide à distance. Riches de leurs observations, les professionnels des numéros d’appels sont en effet aptes à proposer un éclairage singulier sur des problématiques complexes traitées au quotidien.

Centralisées, ces lignes d’écoute disposent généralement d’un seul port d’attache, à l’exception de quelques acteurs, comme le 115 ou Croix-Rouge Ecoute (CRE), qui ont gardé des antennes en région. Il y converge la totalité des appels, et pour y répondre, jusqu’à une cinquantaine de professionnels sont réunis sur le même plateau. Avec un idéal : offrir un accès rapide et inconditionnel à un maximum d’appelants. « Dans les faits, aucune ligne d’écoute ne répond à 100 %. Il suffit qu’il y ait des variations en fonction de l’équipe ou une campagne de communication pour qu’on reçoive plusieurs centaines d’appels en même temps et que les agents du pré-accueil soient contraints de demander aux gens de rappeler », explique Françoise Brié. Qui plus est lorsque les lignes sont encombrées par des appels chroniques, muets ou des erreurs. « C’est le lot de ce type de plateforme, et la solution n’est certainement pas de rationaliser les appels comme cela a pu être évoqué pour un certain nombre de plateformes très sollicitées, prévient Isabelle Gillet. Un appel téléphonique, quelle que soit sa nature, ne peut pas être minuté. On n’est pas sur une plateforme commerciale depuis laquelle on décroche pour donner un renseignement. Quand une personne appelle pour témoigner d’une situation de violence, il faut lui laisser le temps d’exprimer ce qu’elle a à dire. »

Une porte d’entrée

D’autant plus que ce premier échange, qui ne saurait se substituer à des soins, fait souvent office de porte d’entrée vers d’autres démarches. « Pour beaucoup de personnes qui n’ont jamais parlé de leurs difficultés, il faut cette première expérience d’écoute au téléphone, anonyme et sans jugement, pour parvenir à mettre des mots sur ce qu’elles vivent, reconnaître qu’elles sont victimes et qu’il y a des possibilités d’aide. Au-delà de la réponse à leur demande, cela peut les aider, dans un second temps, à aller voir un professionnel », constate Rosine Duhamel, responsable du pôle développement du soutien psychologique de la ligne Croix-Rouge Ecoute. C’est là une autre des plus-values de ces lignes médico-sociales : leur capacité à faciliter l’accompagnement de proximité. Pour ce faire, les équipes n’hésitent pas à s’appuyer sur la richesse du maillage territorial. Au 39 77, par exemple, tous les appels font l’objet d’un écrit, lui-même enregistré dans un logiciel et transmis directement aux centres départementaux Allô maltraitance (Alma).

Le Samu social détient, quant à lui, la liste actualisée des places d’hébergement d’urgence disponibles ou, à défaut, des alternatives possibles. De même, au 39 19, où les appels traitent de toutes les formes de violences faites aux femmes, les appelantes sont régulièrement orientées vers le réseau local Solidarité femmes. « On a une base de données avec plus de 1 000 adresses vers lesquelles on peut adresser les femmes en fonction de leur lieu de vie et de leurs desiderata. L’idée est vraiment d’impulser chez elles le désir de se faire aider en se tournant vers les associations de notre réseau », informe sa directrice générale.

Franchissent-elles pour autant le pas ? Difficile de le savoir, faute de remontées suffisantes. Rare opérateur à en bénéficier, le Snated-119 en mesure pourtant les effets sur les écoutants. « Dans le cadre de la loi, les départements sont dans l’obligation de nous transmettre les orientations de leur évaluation au terme de trois mois via une fiche “retour”. Il est très réconfortant pour celui qui a eu un enfant en larmes au téléphon, de savoir ce qui a été mis en place pour lui venir en aide », illustre Pascal Vigneron. Reste que l’absence de retour, la difficulté de répondre à tous les appels ou encore le manque de considération finissent par miner le moral de ces professionnels. Les opérateurs le savent, proposent des solutions pour pallier cette frustration, telles l’analyse de pratiques ou la supervision par un professionnel extérieur, mais peinent à contenir le fort turn-over. « Sur ce type de plateforme, il y a globalement peu de perspectives d’évolution, et une majorité d’écoutants ne se voient pas rester plus de cinq ans à leur poste », observe Nicolas Paolino, chargé de mission veille sociale et hébergement à la FAS.

Frustration et turn-over à enrayer

Un turn-over qui s’avère néanmoins plus limité lorsque les agents pratiquent le temps partiel. C’est le cas de nombre de plateformes, qui préfèrent jongler avec les plannings que de se retrouver avec des effectifs insuffisants. « Nous sommes tout à fait favorables à ce que certains écoutants conservent une activité en paralèle. Cela permet d’avoir un bon équilibre, une réalité de terrain constante. Il est important d’aller se ressourcer pour être toujours sur une écoute très alerte et en capacité de gérer ses propres émotions », abonde Pascal Vigneron.

L’avenir de ces plateformes, en tant que maillon fort de la chaîne médico-sociale, passe donc par une meilleure considération générale du métier et de ses spécificités, mais aussi par l’interpellation des pouvoirs publics et de l’ensemble des partenaires sur la qualité du service rendu au public. Des valeurs défendues avec force par les membres du collectif TeSS depuis sa naissance en 2012.

De leur côté, les plateformes progressent : spécialisation sur de nouveaux champs d’intervention, généralisation de la traduction simultanée pour les allophones ou amélioration de l’articulation avec les dispositifs existants. Car, à terme, l’espoir est grand pour ces dernières de contribuer à améliorer la prévention primaire. « On peut espérer que le jour où tout le monde connaîtra l’existence de ces lignes, les gens s’en serviront facilement. Peut-être alors, certains dérapages seront évités, prédit Isabelle Gillet. Mais, avant qu’on en arrive là, je serai à la retraite depuis longtemps. »

Notes

(1) Le livre-enquête du journaliste Victor Castanet, Les fossoyeurs, a dénoncé les conditions d’accueil dans les Ehpad du groupe privé Orpea. A la suite de sa parution, le 26 janvier aux éditions Fayard, le gouvernement a ordonné une enquête administrative du groupe.

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