C’est un fait divers. Un patient est sorti sans autorisation de l’hôpital et a été retrouvé après quelques heures de recherches. C’est un deuxième fait divers. Un autre patient a quitté son service et a agressé une femme. C’est un troisième fait divers. Un énième patient, le même hôpital.
Pas n’importe quels patients. Pas n’importe quel hôpital. Pas un patient de cancéro, pas un résident de géronto. Ceux-là peuvent bien aller et venir, dedans ou dehors. Les journaux en parleront peut-être, quand le premier sera retrouvé mort à quelques mètres d’un parking et le deuxième, vivant, en galante compagnie.
Il y aura quelques articles, relatant le triste sort ou l’histoire romantique, et on les oubliera, le mort et l’amoureux.
On n’oubliera pas les patients de cet hôpital toulousain. Les patients de l’hôpital psy. Pour eux, ni poésie ni jolies formules surannées, point d’attendrissement dans les commentaires des lecteurs.
Les mots sont durs et tranchants : « Déséquilibré », « inquiétant », « violeur », « fugitif ». « dangereux », « malade mental », « meurtrier », « interné » … Ce ne sont plus des patients ayant quitté le service mais des « fugitifs », des « évadés » et des hommes « en cavale ». Ce sont les patients psyde l’hôpital psy et leur humanité s’est perdue dans les mots durs et tranchants de ceux qui en parlent.
On les imagine déjà, fous furieux armés jusqu’aux dents, prêts à sauter sur n’importe quel innocent pour lui arracher les organes et les dévorer crus en vociférant des formules sataniques, possédés par une pulsion furieuse et meurtrière. On imagine la foule apeurée, impuissante face à leur folie incontrôlable, la foule qui se cache et se calfeutre, la foule qui a peur des fous. La France a peur et se pose des questions. La rance clameur exige une grande action.
Mais ce ne sont que des hommes. Jérémy, Romain,Tony, Andy, Christophe…
Des hommes parmi les hommes.
Coupables mais pas responsables, trop dangereux pour l’hôpital et trop malades pour la prison. Des hommes au passé qui n’offre pas d’avenir.
Peut-être les connaissez-vous, Jérémy, Romain et les autres. Parce qu’avant d’être ces hommes, ils ont été des enfants. Ecoliers rieurs, voisins taciturnes ou cousins lointains, enfants choyés ou délaissés, qui sait ? Peut-être les avez-vous aimés, Tony, Andy ou les autres. Parce qu’avant d’être ces fous, ils ont été des hommes. Amoureux transis ou amants éconduits, charmeurs ou badineurs, qui sait ?
Des enfants, des hommes, des fous. Les lignes brisées de leurs vies, et les vies brisées autour d’eux. L’hôpital, la prison, l’UMD (unité pour malades difficiles). Les lignes droites des barreaux qui barrent la ligne d’horizon.
Le passé, le présent, et après ? Après, c’est l’humanité. Notre humanité. Pour les enfants, pour les hommes, pour les fous. Pour nous tous.