Cela reste pour l’heure un espace réduit de libre parole, une goutte d’eau dans un océan de malheur, mais ses fondatrices espèrent le voir imposer ses thèmes auprès du grand public. « Amena », une plate-forme déployée sur les réseaux sociaux (Facebook, Instagram, etc.), ambitionne de diffuser le plus largement possible ses contenus de sensibilisation et les témoignages recueillis de femmes égyptiennes victimes de violence ou de harcèlement sexuel, dans un des pays les plus meurtris par le phénomène. « Notre objectif principal est de créer des films et du contenu médiatique à partir d’histoires que les gens de ce pays ne veulent jamais présenter sur les plateformes grand public. Nous voulons être une voix pour les personnes dont les expériences ont été enterrées et ignorées », explique Myriam Mikhael, cofondatrice du projet « Amena » avec Mariam Solika et Nayra Ashraf, toutes trois jeunes diplômées en journalisme télévisé de la Misr International University (MIU) au Caire.
« Amena » vise à être un « espace sûr pour ceux qui partagent leurs histoires, cherchent des conseils ou espèrent aider, dans un environnement sans peur, sans honte et sans stigmatisation », ajoute Nayra Ashraf, également co-autrice d’un film documentaire qui raconte les répercussions de la vague #MeToo dans son pays. Au-delà des témoignages directs de violences, d’agressions ou de harcèlement sexuel, « Amena » explore les questions anthropologiques et culturelles qui ont fait de l’Egypte le dernier de la classe en Afrique et même dans le monde sur la condition des femmes. Comme au sujet du consentement, synonyme d’un « énorme problème ». « Depuis l’enfance, on nous a appris à toujours dire oui », souligne par exemple Mariam Solika.
Brièvement mise en lumière au moment du Printemps arabe en 2011 et des grands rassemblements sur la place Tahrir au Caire, épicentre du soulèvement, où plusieurs femmes égyptiennes et occidentales avaient été agressées, voire violées, devant les caméras de télévision, la situation n’a depuis cessé d’empirer. Selon une enquête de la Fondation Thomson Reuters publiée en 2017, Le Caire est devenu la ville la plus dangereuse au monde pour les femmes, selon les critères d’accès à la santé, des opportunités professionnelles et, bien sûr, des violences sexuelles, derrière New Dehli (Inde), Karachi (Pakistan) et Kinshasa (République démocratique du Congo).
Malgré la faiblesse des outils statistiques locaux, plusieurs études soulignent l’ampleur du problème, à l’instar de celle menée par le Centre égyptien pour les droits des femmes en 2008, dans laquelle 83 % des femmes déclaraient avoir été agressées sexuellement, souvent de manière quotidienne, 62 % des hommes reconnaissant de leur côté avoir harcelé le sexe opposé. La crise économique, qui frappe en premier lieu les femmes, a relégué cette problématique pourtant centrale dans un pays où près de neuf femmes sur dix sont encore aujourd’hui victimes de mutilations génitales, soit là encore le taux le plus élevé du continent africain.
Et les évolutions législatives paraissent impuissantes à inverser la tendance. Ainsi, l’excision est devenue un crime en Egypte depuis 2008, et les peines encourues par les exciseurs comme par les parents complices ont été alourdies en 2017. Le code pénal a également été durci pour les auteurs de harcèlement sexuel au mois de juillet dernier, un acte désormais requalifié de « délit » en « crime » avec des peines pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison, contre un an et demi minimum auparavant. Sans que cet arsenal juridique soit jusqu’ici parvenu à peser réellement sur les mentalités.