Donner de quoi boire et se nourrir à des personnes dans le besoin, cela semble normal pour de nombreux Français. L’aumône, l’aide aux plus pauvres, est une partie de l’ADN des plus solidaires dans le pays. Pourtant, dans plus de trente rues de Calais, c’est interdit depuis septembre 2020. Si vous ne faites pas partie des associations mandatées par l’Etat, cela vous expose à une amende de 135 €. Depuis un an et demi, la préfecture du Pas-de-Calais prolonge donc chaque mois un arrêté préfectoral limitant les distributions alimentaires dans une grande partie du centre-ville et à proximité des campements de personnes exilées.
Comment a-t-on pu en arriver à un tel délit de solidarité, poussant les exilés à faire parfois plusieurs kilomètres pour se nourrir, boire ou se doucher ? La justification, selon les autorités, a d’abord été sanitaire. Il fallait limiter le nombre de rassemblements de personnes afin d’endiguer la propagation du virus. Mais alors que les rassemblements sont de nouveau autorisés dans tout le pays, l’arrêté préfectoral a été reconduit en ce mois de janvier 2022.
Pour les associations non mandatées par l’Etat qui fournissent bois, eau et vivres sur les lieux de vie, il s’agit d’une entrave à leur travail quotidien, et de rejet des personnes exilées. Un bannissement contemporain de la cité. Avec amendes en cascade et pressions, pour finalement les chasser elles aussi de la ville. Car depuis la mise en place du premier arrêté, les rues interdites ne cessent de s’étendre de plus en plus loin du centre, des lieux officiels de distribution et des endroits de misère où les personnes survivent.
Dans les « considérants » de l’arrêté préfectoral, le fondement sanitaire a désormais laissé place à des justifications bien plus critiquables, que les associatifs qualifient même de « xénophobes ». Pour preuve, les distributions seraient limitées car « la présence de personnes migrantes » et « les rassemblements non déclarés » seraient propices « aux troubles à l’ordre public ». Tout leur est imputé : les violences, la saleté des rues, et même un cas d’exhibition sexuelle devant un commerce.
Ce vendredi 21 janvier, Noké et sa camarade étaient arrêtées rue du Beau-Marais pour avoir apporté des oranges et des patates douces à Old Lidl, l’un des campements. Pour l’officier de police présent, un brin gêné par la situation, la présence de leur camion et de leurs deux brouettes pleines justifiait leur verbalisation. Les deux bénévoles ont écopé de deux amendes et d’une obligation de quitter les lieux dans le quart d’heure sous peine d’une autre amende. Elles ont poursuivi leur livraison à la hâte, en lâchant : « On ne va quand même pas laisser les gens mourir de faim ! »