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Quand le bâti, repensé, améliore le suivi

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Lorsque leurs bâtiments ont fait l’objet d’une réflexion architecturale dédiée, les établissements sociaux et médico-sociaux sont nombreux à l’apprécier. Un bienfait pour les usagers comme pour les équipes. A condition que les uns et les autres soient associés au projet et que leurs besoins soient pris en compte.

Une exposition consacrée au « bien vieillir ensemble » à la cité de l’architecture et du patrimoine, à Paris, des articles dans la presse généraliste, un webinaire à destination des professionnels sur le design et l’innovation… L’impact du bâti et de l’aménagement sur la qualité de l’accompagnement est au centre de nombreuses réflexions. Et pour cause : un projet architectural pensé en collaboration avec les différentes parties prenantes faciliterait les échanges, participerait au « mieux être » des résidents et permettrait de dégager du temps au bénéfice des personnels.

C’est ce qu’a pu observer Stéphane Ragueneau, directeur de l’institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (Itep) Audronnières, à Faverolles-sur-Cher (Loir-et-Cher). Dans le cadre d’un large programme visant à soutenir la gestion des manifestations agressives dans son établissement, il a souhaité réinventer l’ensemble du domaine, de la circulation dans les lieux à l’aménagement des chambres. « Comme nous avons mené des actions sur différents plans, il est difficile de sortir un indicateur précis sur l’impact du bâti. Mais ce qui est certain, c’est qu’il y a une nette baisse de la violence », observe le directeur.

En partant des besoins des enfants, des espaces pour se retrouver seul ont, par exemple, été définis dans chaque partie de la structure. « Lorsqu’il est en classe, l’enfant doit savoir que, si ça ne va pas, il peut aller dans un endroit où il aura la possibilité de se “cocooner”, soulève Stéphane Ragueneau. Chacun, selon les moments, a besoin d’être en groupe ou de s’isoler, mais souvent l’aménagement de l’espace ne prévoit que l’aspect “groupe”, car il s’agit d’un besoin reconnu de manière positive par la société. »

Cette question autour de l’individuel et du collectif a également été abordée lors de groupes de travail impulsés par la Fondation Abbé-Pierre à La Réunion et visant à imaginer la maison-relais de demain. « Les personnes accompagnées en ont parlé d’elles-mêmes, rapporte Matthieu Hoarau, directeur de l’agence régionale de la fondation. Elles voulaient une sorte de village avec, au centre, une maison commune accueillant des activités. Autour, elles ont imaginé des îlots de maisonnettes pour que chacun puisse avoir ses espaces de vie. »

Se sentir chez soi

Parmi les autres requêtes des usagers, figure celle de bénéficier d’espaces plus grands pour recevoir des amis ou leurs enfants. « Avoir des lieux adaptés à sa composition familiale et à ses besoins est quelque chose de central, que l’on soit bien logé ou pas, souligne Matthieu Hoarau. A partir du moment où les personnes disposent d’espaces de vie suffisants, qu’elles peuvent mettre en sécurité leurs affaires, leurs papiers administratifs, elles sont en capacité d’entamer des démarches d’inclusion et de retisser une vie sociale. »

Le bâti comme levier d’action pour accéder à une meilleure estime de soi, c’est aussi le pari remporté par Frédéric Baudot, directeur de la résidence sociale à orientation éducative (RSOE) du Fort Saint-Antoine, à Toulon. « Je pense qu’il faut créer du beau pour donner envie aux jeunes d’être là. Nous devons leur permettre de se sentir bien et ne pas rajouter de la précarité à la précarité. » Ouverte en juin 2020, cette structure expérimentale accueille des jeunes sortants de l’aide sociale à l’enfance durant un à deux ans. Pour ne pas reproduire un modèle symétrique, une « cage à lapins », le directeur a souhaité casser la logique d’espaces en enfilade qu’il a souvent observée lors de sa carrière en protection de l’enfance. « Nous avons notamment travaillé sur la question des paliers à demi-niveau pour éviter le grand escalier central qui fait le tour sur plusieurs étages », détaille-t-il.

Une partie du parc des établissements sociaux et médico-sociaux témoigne, en effet, d’une certaine obsolescence. Beaucoup de structures, en premier lieu les Ehpad, ont été conçues avec une approche hospitalière : de longs couloirs identiques, des protections murales, des sols en plastique de couleur… Tous ces éléments contribuent à stigmatiser les personnes dans les difficultés qu’elles rencontrent, estime Fany Cérèse, docteure en architecture et cofondatrice de l’Atelier AA, spécialisé dans l’accompagnement des établissements médico-sociaux. « En créant des environnements différents, nous pouvons amener à changer le regard porté sur le public. L’environnement autorise les personnes à faire les choses, et parce qu’elles réalisent ces actions, les professionnels voient émerger leurs compétences. C’est un cercle vertueux. »

Dès lors, comment penser cette nouvelle génération d’établissements ? La notion même de modèle semble poser problème. Avec elle, l’idée d’un schéma unique pour traiter une multitude de cas de figure, de pathologies, de niveaux de dépendance… Si nombre d’acteurs s’accordent sur l’importance d’une démarche ouverte s’appuyant sur les spécificités territoriales, certains partis pris sont toutefois partagés. « Il y aura des modèles multiformes, mais des orientations nous semblent devoir être communes. Notamment celle de l’approche domiciliaire, pour que les personnes se sentent chez elles, ainsi que le fait de faciliter l’ouverture des établissements sur leur environnement de proximité », pointe Gaël Hilleret, directeur des établissements et services médico-sociaux à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA).

Travail de « matching »

L’enveloppe mise sur la table dans le cadre du Ségur de la santé pour renouveler l’offre de différentes structures, particulièrement les Ehpad, encourage de nouvelles réflexions architecturales. Mais cet intérêt grandissant suscite des interrogations. « Une partie du secteur ne sait pas vraiment où trouver les ressources nécessaires et les personnes pour l’accompagner, soulève Marie-Automne Thépot, responsable de projets du « Laboratoire des solutions de demain » à la CNSA, un dispositif qui propose justement ce soutien. « Il y a un travail de “matching” à réaliser. Les choses bougent à la fois dans les milieux du design et de la construction et dans le monde du médico-social. L’idée est que ces trois univers se rencontrent autour d’un vocabulaire commun. Car derrière les notions d’“accompagnement”, de “modularité”, de “perte de repères”, les professionnels ne mettent pas toujours le même sens. »

En plus de ce travail d’acculturation, s’opère un autre questionnement sur la notion de « risque ». Pour maîtriser au maximum les difficultés encourues par les personnes accompagnées, les normes juridiques, médicales ou organisationnelles prévalent dans de nombreuses structures. Ces cadres rigides ont souvent pour conséquence de limiter le champ des possibles des projets mis en place. « Nous réalisons un travail avec les équipes pour voir comment accepter le risque et partager la responsabilité, explique Fany Cérèse. Je me souviens d’une professionnelle qui nous avait dit : “Pourvu qu’il n’arrive rien aux résidents !” En observant la vie quotidienne au sein de la structure, on s’est dit qu’effectivement il ne leur arrivait rien du tout, et c’est ce qui était terrible. Certains demandaient par exemple à aider pour essuyer la vaisselle, mais comme la cuisine était fermée ce n’était pas possible. Si l’on veut qu’il y ait de la vie, il faut accepter le risque. » Marie-Automne Thépot encourage de son côté à questionner ses « réflexes d’empêchement » : « Il faut se demander si nos inquiétudes sont vérifiées, si elles n’ont pas été dépassées par de nouvelles organisations, de nouveaux matériaux. »

Le frein budgétaire

Dans certains secteurs, le temps revêt un enjeu tout particulier. C’est le cas de l’hébergement d’urgence, où la mise à disposition de terrains peut se révéler temporaire. « Autant que possible, nous essayons de porter une attention à l’impact du bâti sur les personnes, mais lorsque nous travaillons sur un site avec une durée limitée, notre intérêt est d’aller le plus vite possible. Les mois perdus pour faire des travaux sont des mois d’exploitation en moins », souligne Franck Mackowiak, directeur immobilier chez Aurore. Le budget fait bien évidemment partie des freins à la mise en place de projets d’envergure. « Nous explosons les coûts réglementés en effectuant ce type de choix », affirme François Géraud, directeur général de la fondation L’Elan retrouvé, qui gère l’hôpital de jour de Chevilly-Larue (Val-de-Marne), récemment transformé pour accueillir une trentaine d’enfants autistes. Ces sommes importantes représentent toutefois un investissement. C’est la garantie supplémentaire que les personnes se sentent bien dans leur lieu de vie et souhaitent y rester. Mais également que le bâti dure plus longtemps.

« La construction de notre bâtiment date de 2014 et il n’est presque pas abîmé », soutient Stéphane Ragueneau. L’une des raisons de cette conservation : l’attention apportée aux matériaux utilisés et, plus spécifiquement, le choix d’une ossature en bois. « Les structures en placoplâtre se détruisent très facilement. Si un jeune met un coup de poing dedans, il faut ensuite reboucher. De la même façon, certaines portes sont souvent claquées car elles servent de lieu de contestation », poursuit le directeur de l’Itep Audronnières.

Si elle joue indéniablement un rôle, l’architecture suffit-elle pour autant à assurer une bonne qualité d’accompagnement ? Non, répondent les différents acteurs. Pour ne pas être qu’une simple vitrine, elle doit placer l’usager au centre des projets. « En suivant cette logique, le but n’est alors pas de faire du beau pour faire du beau ou de se démarquer de ce qui a été fait ailleurs selon les effets de mode, analyse Matthieu Hoarau. Autrement, on va miser aujourd’hui sur le modulaire, alors qu’hier il s’agissait des containers et que demain ce sera la Tiny House. » De son côté, Gaël Hilleret souligne l’importance de l’appropriation des lieux par les équipes. « Si le collectif du personnel ne perçoit pas l’intérêt de la nouvelle structure, ça ne fonctionnera pas, assure-t-il. C’est vraiment l’alliance du travail sur les usages et de celui sur le bâti qui va permettre de construire des établissements les mieux adaptés aux besoins. »

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