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« Beaucoup d’idées reçues perdurent chez les professionnels »

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Pour la psychologue et sociologue Catherine Sellenet, le placement d’un enfant protégé chez un « tiers digne de confiance » s’inscrit dans une solidarité familiale. Ce que certains professionnels ont encore du mal à appréhender.
Quel est le parcours des enfants placés chez des proches ?

On trouve dans les histoires de ces familles les situations les plus lourdes de la protection de l’enfance. Des parents souffrant de troubles mentaux, d’addictions, dans l’errance, la grande précarité, l’incapacité à prendre en charge les besoins de leur enfant, la négligence grave mais sans maltraitance intentionnelle. Les enfants vivent déjà dans des contextes tellement insécurisants, avec des manques affectifs et alimentaires si importants que la place est, en quelque sorte, déjà vacante. Très souvent, dès les premiers mois, c’est un membre de la famille qui s’occupe de l’enfant, en général la grand-mère. Puis, pour une raison ou pour une autre, le parent le récupère davantage. Survient une crise majeure entre parent et enfant, et la situation parvient au juge. On quitte alors l’arrangement familial pour un placement chez le proche, qui demande à être désigné comme « tiers digne de confiance ». Il arrive parfois que l’enfant refuse un placement en institution ou chez une assistante familiale et fugue régulièrement chez un proche qui finit par être désigné comme tiers digne de confiance.

Y a-t-il un profil type du « tiers digne de confiance » ?

La plupart du temps, ce sont des femmes, en majorité des grands-parents, mais aussi des oncles et tantes, plus rarement des frères et sœurs aînés. Il s’agit donc d’une solidarité inscrite au sein de la parenté, même si les degrés de proximité sont variables. La solidarité externalisée, sans aucun lien généalogique ou d’alliance à l’égard d’un enfant, reste exceptionnelle, avec quelques beaux-parents, parrains-marraines ou amis de la famille. Ils expliquent leur engagement par une sorte d’évidence. Souvent, ils prenaient les enfants à toutes les vacances, pour « soulager un peu ». Mais quand la situation s’est dégradée, ils n’étaient pas préparés à devenir tiers, mais « ça s’est présenté comme ça ». Ils déclarent ne pas avoir eu vraiment le choix mais ne peuvent ou ne souhaitent pas se désengager de cette relation déjà existante.

Quelles difficultés rencontrent-ils ?

D’un point de vue psychologique, le plus compliqué est qu’ils n’avaient pas imaginé ainsi leur place auprès de l’enfant. Aujourd’hui, dans la relation grands-parents – enfants, le côté ludique, plaisir et partage est valorisé. Les tiers aidants doivent, au contraire, assumer une hyper-responsabilité qui ne correspond pas à leurs projets : réussir l’éducation de leurs petits-enfants et, surtout, ne pas échouer, sinon ces derniers pourraient être placés en institution. De plus, ils recueillent souvent des préadolescents, moins faciles et avec lesquels l’écart générationnel est important. Une « usure éducative » peut s’installer s’ils ne sont pas soutenus par un service spécialisé et si on n’a pas identifié d’autres personnes ressources pour les relayer de temps en temps sur certains aspects du quotidien. Par ailleurs, il arrive que le choix du tiers ne soit pas unanime au sein de la famille et que la situation divise. Avec, par exemple, les autres petits-enfants qui trouvent la responsabilité de leurs grands parents trop lourdes pour eux. Les rivalités fraternelles peuvent se rejouer aussi sur le mode : « Tu t’occupes encore de lui et plus du tout de tes autres petits-enfants. » Enfin, il est malaisé pour des grands-parents d’être aux deux bouts de la chaîne, c’est-à-dire d’avoir des fonctions éducatives et parentales avec le petit-enfant accueilli tout en restant attachés et soutenants avec leur propre enfant qui dysfonctionne. Il s’agit d’un conflit de rôle – et non de loyauté – dont ils ont besoin de parler pour le désamorcer.

Comment les parents vivent-ils ce placement particulier ?

Ils ont parfois du mal à l’accepter. Un désagrément relativisé néanmoins par le fait qu’ils préfèrent savoir leur enfant chez un proche qu’ils connaissent plutôt qu’en établissement. Un suivi et une médiation sur le long terme sont toutefois indispensables, car les relations entre le tiers et le parent évoluent avec la situation, à chaque fois unique. Le place­ment sera-t-il durable ou provisoire ? Comment le parent va-t-il évoluer ? Comment réagira-t-il si la situation perdure ? Les relations entre le parent et le proche sont empreintes d’affects qui mettent le tiers – qui doit avant tout protéger l’enfant – dans une position souvent délicate.

Et les enfants ?

La plupart de ceux que j’ai rencontrés considèrent ce placement chez un proche comme une planche de salut. Pour les plus grands, il représente la solution « la moins pire ». Ils apprécient de ne pas être stigmatisés, de rester des enfants ordinaires à l’école. De plus, il n’y a pas de rupture culturelle et ils valorisent beaucoup le fait de pouvoir parler du parent absent, de partager avec la personne qui les accueille la même histoire familiale, les mêmes inquiétudes aussi, et qu’on leur raconte comment était leur père ou leur mère avant l’apparition des « problèmes ». J’ai trouvé ceux que j’ai croisés plus stables, moins « douloureux », souffrant de moins d’éclatements et de ruptures, avec généralement une meilleure scolarité que d’autres enfants placés dans des contextes différents.

La posture des travailleurs sociaux doit-elle être adaptée à la situation spécifique des tiers dignes de confiance ?

Oui. Même s’il s’agit toujours d’accompagner une famille dans l’intérêt de l’enfant, la posture n’est pas la même en AEMO [action éducative en milieu ouvert] ou avec un placement chez un proche, comme on peut le travailler en analyse des pratiques ou en formation. Le tiers est avant tout un aidant choisi par le juge parce qu’il a les compétences pour répondre aux besoins d’un enfant. Il doit se sentir soutenu, épaulé, et en aucun cas contrôlé. Le plus difficile à faire évoluer, notamment pour réaliser des évaluations solides et exhaustives, ce sont les représentations des professionnels. Beaucoup d’idées reçues perdurent sur les fonctionnements familiaux, empêchant de penser la famille élargie comme une famille ressource. Principalement, l’idée de conflit de loyauté, qui sous-tend qu’un enfant serait forcément écartelé entre ses différents attachements qui ne pourraient être que concurrentiels et non pluriels. Or il n’y a conflit de loyauté que quand les adultes mettent les enfants en position de hiérarchiser leurs liens. Et, dans ce cas, le problème se règle avec les adultes. Pour les évaluations, inspirons-nous de certains outils venus du Québec et de la lecture très écosystémique de l’environnement de l’enfant. L’éco-map, par exemple, consiste à demander à l’enfant de nommer toutes les personnes qui comptent pour lui. Depuis la loi de 2002, il doit être associé à toute décision le concernant dès lors qu’il a un degré de maturité suffisant. Ce qui suppose de l’entendre, même si on ne le suit pas. De son côté, le tiers doit faire preuve de solidité pour supporter, avec l’aide d’un service dédié, les traces laissées par l’insécurité majeure que l’enfant confié a subie.

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