La vieillesse est un marché. On le sait. Mais quand appât du gain rime avec cynisme, alors on est dans Les fossoyeurs, le livre de Victor Castanet sorti le 26 janvier. Le journaliste n’est pas spécialiste des personnes âgées, juste sensible à leur sort. « Parce que leur voix ne porte plus. Parce que les plissures de leurs visages m’émeuvent », écrit-il.
Pendant plusieurs mois, il a enquêté dans des Ehpad d’Orpea. Depuis ses révélations, la cotation en bourse du leader mondial des cliniques et maisons de retraite privées, qui rêve de rejoindre le CAC 40, est en chute libre. Le groupe a bien essayé d’acheter le silence du reporter en lui proposant 15 millions d’euros, comme il avait fait pression en 2018 sur l’équipe du magazine Envoyé spécial de France 2 pour empêcher la diffusion d’un documentaire sur le « business » des Ehpad privés. L’affaire n’est donc pas nouvelle, la bienveillance de façade, non plus. A la résidence Les Bords de Seine de Neuilly-sur-Marne, une aide-soignante témoigne à propos de ses dirigeants : « Ils ne sont gentils que quand les familles sont là. Le dimanche, c’était le champagne et le sourire. Mais sinon ils s’en fichaient. Les directeurs, ils ont des primes s’ils font des économies. » Et des économies, Orpea en réalise en rationnant le matériel, le personnel, les repas…
En 2016 et 2017, des familles de résidents se sont plaintes de carences et de maltraitances. Elles qui paient entre 6 000 et 12 000 € par mois des services de « meilleure qualité » pour leur proche ignorent les rétrocommissions, les contrats de travail illégaux, les montages financiers sophistiqués visant, par exemple, à maximiser le coût de chaque résident, pratiques dénoncées dans l’ouvrage. Savent-elles que le fondateur du groupe parle de « parcage de vieux » à ses responsables ? Des « vieux » qui sont isolés lorsqu’ils n’ont pas ou peu de famille qui leur rendent visite.
Cette rentabilisation à outrance est humainement et moralement insupportable, et renvoie à la question de la place des personnes âgées dans notre société. Car, si de telles situations existent, c’est que les pouvoirs publics ferment les yeux. Pire : les Ehpad privés bénéficient de subventions de l’Etat, des agences régionales de santé et des départements. De l’argent public « détourné » de son objectif. Avec la complicité de celui que les intimes d’Orpea appellent « l’assureur », autrement dit Xavier Bertrand. Selon l’auteur, « il a été l’homme fort de la santé durant la période la plus déterminante du secteur de la dépendance : les années 2002-2010, où le marché des autorisations d’Ehpad et de cliniques a littéralement explosé ». Champagne !