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Renouveler les pratiques, l’impossible défi

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Face à la crise que traverse le milieu carcéral, de nouvelles réflexions et initiatives émergent, qui tentent de repenser les conditions d’incarcération des détenus afin de favoriser leur réinsertion après leur sortie. Mais la machine pénitentiaire évolue lentement.

Surpopulation chronique, taux de suicide élevé, man­que de personnel… Les conditions carcérales en France sont connues pour leur dureté, au point que les établissements français ont été épinglés à de nombreuses reprises par la justice : sur les 187 maisons d’arrêt et centres pénitentiaires du territoire (pour près de 63 000 détenus), 38 ont été condamnés par la justice française et 9 autres par la Cour européenne des droits de l’Homme. Cette dernière a par ailleurs blâmé la France à 19 reprises pour traitements inhumains ou dégradants dans ses prisons, selon les chiffres de l’Observatoire international des prisons (OIP). Cette crise, loin d’être inédite, constitue une vieille antienne : la surpopulation carcérale était déjà dénoncée dans les années 1970, en même temps que le philosophe Michel Foucault prônait une réforme en profondeur de l’institution pénitentiaire. Si les problèmes sont anciens, émergent néanmoins des réflexions innovantes qui se donnent pour objectif de repenser la détention. « La crise de la prison est structurelle, ses problèmes évoluent en même temps que la société, souligne Laurine Basse, doctorante en management public à l’université d’Aix-Marseille. La prison reste un système qui exclut. On ne peut pas la réinventer car on attendra toujours qu’elle enferme les personnes prévenues et condamnées. En revanche, on peut réinventer la prise en charge des personnes détenues. » Celle-ci est actuellement traversée par deux logiques a priori antagonistes : la nécessité de protéger la société, et donc de renforcer l’arsenal sécuritaire autour des personnes condamnées, et l’objectif de réinsertion établi comme mission prioritaire de l’administration pénitentiaire par la loi du 22 juin 1987.

Les tentatives pour concilier ces deux impératifs ne sont pas nouvelles. Dès 1948, un établissement d’un genre nouveau ouvrait à Aléria (Corse) : le centre de détention de Casabianda, ouvert sur un terrain de 1 500 hectares, avec des détenus qui se déplacent en toute autonomie, travaillent à la ferme ou aux ateliers, tout étant mis en place pour favoriser leur réinsertion. Selon Laura Abrani, la directrice du centre, « on leur propose une vie qui ressemble le plus possible à ce qu’ils vont trouver à l’extérieur à leur libération : des activités professionnelles, socioculturelles et éducatives. Pour les personnels, c’est un régime de détention beaucoup plus apaisant où les relations sociales avec les détenus sont normalisées ».

Enfermer en préparant à la sortie

A ceux qui y voient un « Club Med » pour délinquants, la directrice répond que « les détenus ont tout à fait conscience qu’ils purgent une peine et ne sont pas totalement libres de leurs mouvements. En échange, on leur demande de construire un projet d’exécution de peine et de sortie. On ne peut pas être oisif ici, ils sont obligés de s’investir dans un certain nombre d’activités. Cela leur demande de mobiliser beaucoup d’énergie pour se projeter vers l’avenir. » Si les chiffres manquent pour évaluer le taux de récidive des anciens détenus de Casabianda, le centre est néanmoins considéré comme un succès et ne connaît pas de problème particulier. Pourtant, malgré sa longévité et son retour d’expérience, il n’a pas fait d’émules dans le reste du territoire. Mais ces dernières années, des projets qui ont vu le jour s’en inspirent.

Ainsi, au mitan des années 2010, deux mesures ont été instaurées dans certains établissements de manière concomitante et parfois complémentaire : le « surveillant-acteur », ou « surveillant-référent », et les modules « respect ». Le premier programme, initié au Canada et inauguré en 2013 au centre pénitentiaire de Varennes-le-Grand (Saône-et-Loire), vise à enrichir le métier de surveillant de missions autres que la garde et la gestion des mouvements des détenus afin d’optimiser leur détention : mener des entretiens, les accompagner dans une demande de permission de sortie ou de participation à certains ateliers… Pour Sébastien Nicolas, secrétaire général du SNP-FO Direction (syndicat majoritaire des directeurs de services pénitentiaires, qui a contribué à la genèse du projet), « le moteur a été le besoin de renouvellement du métier de personnel de surveillance. Les surveillants d’aujourd’hui n’ont rien à voir avec ceux d’il y a quarante ans. Cette aspiration a mené à trouver un socle de missions qui valorise cette fonction et fait du surveillant un véritable technicien de l’humain. »

De leur côté, les modules « respect », importés d’Espagne, consistent à octroyer davantage de liberté de mouvement et de possibilités d’activités à des détenus sélectionnés et volontaires. Plus de 40 établissements les ont aujourd’hui adoptées et le modèle est aujourd’hui en cours de labellisation. Mais pour Valérie Icard, docteure en science politique au Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales (Cesdip), ces modules ont pour défaut d’obéir à une vision pénitentiaire limitée : « Avec les modules “respect”, on différencie les régimes de détention en se fondant sur des évaluations des détenus. C’est ce qu’on appelle une prophétie autoréalisatrice : on va mettre un détenu avec un lourd passif disciplinaire dans tel régime plus sécurisé, ce qui implique plus de frustrations, plus de souffrance, plus de mauvaises relations avec le personnel, etc. Ainsi, on l’empêche d’évoluer. »

Diversité des structures

Autre aspect fondamental pour faciliter la réinsertion des détenus : la formation universitaire. Alors que la formation professionnelle est plutôt bien développée en prison, Patrizia Pacini Volpe, chercheuse en sciences politiques à l’université de Rennes 1, insiste sur l’accès à la formation universitaire en prison : « L’étude universitaire permet une réflexion profonde. Elle permet aux détenus d’adopter une attitude différente vis-à-vis de la société : l’acceptation des règles, la capacité à écouter l’autre, à le comprendre… Cette meilleure adaptation sociale est fondamentale pour éviter la récidive. » Elle insiste sur une formation universitaire non à distance mais en présentiel, bien plus efficace en matière de motivation et d’assiduité. Or, à ce jour, seule l’université Paris-Diderot dispense des cours en présentiel en France.

Ces initiatives font souffler un vent nouveau sur la prison, alors que la norme carcérale demeure dominée par l’impératif sécuritaire. « La grande lacune de l’administration pénitentiaire aujourd’hui est de ne pas chercher à diversifier les structures, déplore Sébastien Nicolas. Or nous avons besoin de gros établissements, de petits, de très sécurisés, de peu sécurisés, nous avons besoin d’une diversité du parc carcéral pour adapter les conditions d’hébergement aux besoins des détenus. On ne prend pas en charge de la même manière le braqueur de fourgon blindé et le papi pédophile. Pourtant, ils se retrouvent souvent dans le même établissement. » L’idée de penser la peine avec plusieurs régimes de détention qui s’adaptent aux personnes et dans le temps gagne peu à peu les esprits.

Du côté de l’Agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle (Atigip), qui relève du ministère de la Justice, la réflexion est aussi amorcée : le projet « InSerre » vise à la construction de trois établissements pénitentiaires d’un genre nouveau. D’une capacité de 180 places chacun (à titre de comparaison, le dernier centre pénitentiaire à avoir ouvert, en 2021 à Lutterbach, compte 540 places), ils seront divisés en un espace de vie et un autre dédié au travail. Leurs détenus seront tous employés des parties communes (cuisine, buanderie, salle de repos, jardins, etc.), favorisant les moments d’échange et l’autonomisation des personnes. « L’idée est de changer de paradigme et d’avoir un établissement pénitentiaire entièrement orienté vers la réinsertion des détenus, détaille Jessica Vonderscher, qui pilote le projet pour l’Atigip. L’objectif est qu’ils sortent à l’issue de leur peine avec une formation et, idéalement, un emploi. »

Sécurité abaissée, synergies avec les entreprises locales, cellules ouvertes en journée… Le modèle de ces futurs établissements, qui seront situés à Arras (Pas-de-Calais), avec une ouverture espérée en 2025, à Toul (Meurthe-et-Moselle) et à Donchery (Ardennes), a trouvé son inspiration en piochant dans les modèles carcéraux allemand, suisse, finlandais et danois, où le taux de récidive avoisine les 30 %, tandis qu’il atteint le double en France dans les cinq ans qui suivent la sortie. Ces futurs établissements expérimentaux misent aussi sur l’apaisement des relations entre détenus et personnel carcéral. Si l’expérience s’avère concluante, ces centres novateurs pourront servir de modèles à d’autres. Un bémol : avec leurs 540 places à eux trois, ils sont loin de remplir l’objectif de création de 15 000 places de prison supplémentaires à l’horizon 2027 promises par Emmanuel Macron en 2017. Lesquelles seront concentrées dans des établissements de grande taille dits « classiques », qui privilégient l’aspect sécuritaire de la peine.

Les « centres-types » espagnols

Depuis les années 1990, un nouveau modèle de prison s’est imposé en Espagne. Appelées « centres-types », ces macroprisons obéissent à une conception architecturale innovante : conçues comme des minivilles, elles sont censées ressembler le plus possible au monde extérieur. Différents modules permettent aux détenus d’accéder aux mêmes services que dans la société (activités sportives, culte, formation, études…), l’objectif étant de ne pas rajouter des difficultés matérielles à leurs conditions de détention. D’une capacité théorique de 1 000 détenus – dans les faits, ils en comptent le double –, ces centres ambitionnent de réduire la peine à une simple entrave à la liberté de circuler. Mais pour Valérie Icard, docteure en science politique, l’utopie n’est pas au rendez-vous : « Même si le dispositif carcéral est allégé, ces macroprisons sont très sécurisées et ont été pensées pour limiter les mouvements au sein de la prison. Les efforts de normalisation de l’espace n’empêchent pas le maintien des logiques institutionnelles traditionnelles, perpétuées notamment au nom des impératifs de sécurité et d’ordre. »

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