La majorité des personnes condamnées par la justice effectuent leur peine en milieu ouvert. Selon les chiffres gouvernementaux, elles étaient près de 160 000 en 2020, contre 62 000 détenues en milieu fermé. Si les dispositifs pour éviter la détention sont relativement nombreux (contrôle judiciaire, assignation à résidence avec surveillance électronique, sursis probatoire, libération conditionnelle, etc.), certains amorcent un travail de fond.
Le travail d’intérêt général (TIG), instauré par la loi du 10 juin 1983, est un dispositif ancien destiné à éviter l’incarcération en effectuant un travail non rémunéré au profit de la collectivité. L’Ilot, une association parisienne née en 1969 pour accueillir des hommes sortant de prison, a mis en place il y a quatre ans un programme original entièrement dédié à l’accompagnement vers un projet professionnel des personnes condamnées pour un délit mineur. Conventionné par le ministère de la Justice, ce projet de TIG pédagogique propose aux bénéficiaires – principalement des jeunes – d’être soutenus pendant huit semaines par des professionnels de l’association. « Pour beaucoup d’entre eux, c’est l’occasion pour la première foisde parler de ce qu’ils aiment faire, de leurs appétences. Ils se disent qu’ils ne sont pas obligés de devenir livreur ou manutentionnaire comme beaucoup de leurs amis, détaille Isabelle Cartagena, qui pilote ce projet au sein de L’Ilot. On essaie de définir avec eux d’autres métiers qui pourraient leur convenir, de leur faire prendre conscience qu’ils ont des capacités. »
Les jeunes, envoyés à l’association par le service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip) de Seine-Saint-Denis, doivent ainsi trouver un stage d’une semaine en entreprise, sous la supervision de leurs encadrants qui les aident à élaborer leur CV et à préparer leurs entretiens. Bilan de la dernière session : sur six inscrits, deux ont abandonné le programme après trois semaines, mais l’un d’eux a trouvé un CDI, deux autres ont été embauchés en CDD et un dernier envisage une reprise d’études. Ceux qui le désirent peuvent être suivis par L’Ilot pour six mois supplémentaires. Cet accompagnement représente, pour Isabelle Cartagena, la clé de la non-récidive : « La prison coupe tous les liens sociaux, familiaux, professionnels. Après avoir été enfermé toute la journée dans une cellule à regarder la télévision, le condamné risque de sortir avec un sentiment de rancœur et de temps perdu. Le TIG permet à la personne de se construire au lieu de se détruire. Pour certains, cela ne comptera pas mais, pour d’autres, cela tirera une sonnette d’alarme. C’est une peine qui a du sens. Ceux qui s’engagent sérieusement ressortent plus forts et peuvent commencer plus sereinement un chemin vers une solution d’emploi ou de formation. »
Depuis vingt ans, l’association Seuil, habilitée par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), propose à des jeunes de 14 à 18 ans (voire jusqu’à 21 ans) sous-main de justice de partir à pied et sac à dos avec un accompagnateur pendant trois mois sur un itinéraire de près de 1 500 kilomètres. Une équipe éducative les suit à courte distance. Privés de leur téléphone personnel, les jeunes vont devoir, avec leur binôme, trouver leur hébergement du soir, s’occuper des repas… Paul Dall’Acqua, directeur de l’association et ancien directeur de la PJJ des Hauts-de-Seine, témoigne des bienfaits de cette méthode : « Marcher en silence favorise le travail introspectif. Malgré lui, l’adolescent réfléchit sur lui-même. La difficulté n’est pas physique, elle est essentiellement émotionnelle. En étant séparé de ses parents, de ses fréquentations, de son quartier, le jeune va éprouver des émotions souvent violentes. » Les chiffres produits par l’association sont éloquents : sur les 35 marches annuelles, 76 % sont menées à leur terme et 57 % des jeunes qui vont au bout intègrent ensuite un parcours d’insertion. Leurs éducateurs référents estiment que cette démarche est un succès dans 84 % des cas. Les marches suivent principalement des chemins de pèlerinage – en Espagne, au Portugal et en Italie avant la crise sanitaire liée à la Covid-19, en France depuis – qui permettent de rencontrer de nombreux marcheurs avec qui les jeunes vont partager des moments de convivialité, le soir dans les gîtes et pendant les étapes parcourues ensemble. « Ces jeunes manquent en général de confiance envers les adultes. Là, ils découvrent que ceux-ci peuvent faire preuve d’empathie et de bienveillance, c’est un processus de réconciliation », souligne Paul Dall’Acqua.
Formé à la justice restaurative (sur cette démarche, voir l’interview du criminologue Robert Cario), Laurent Merchat a lancé en 2016 un programme innovant au Spip de Valence, où il était conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation : le parrainage de désistance, c’est-à-dire un accompagnement pour aider les condamnés à sortir de la délinquance. Le principe : réunir une fois par mois dans un cercle de parole des personnes placées sous main de justice en milieu ouvert et autant de bénévoles issus de la société civile, qui se choisissent dans une relation scellée par un contrat de parrainage de quatre, six ou huit mois. Au préalable, les bénévoles sont formés aux procédures judiciaires, aux méthodes d’intervention au sein du Spip, aux théories de ce type de parrainage. « Plus une personne a de liens positifs à l’intérieur de la société, moins elle a de risques de commettre une infraction, avance Laurent Merchat. Il est extrêmement important que les personnes condamnées se défassent du sceau de la monstruosité dont elles se sentent marquées. Elles se rendent alors comptent avec surprise que des gens qui savent qu’ils purgent une peine sont prêts à leur parler et à créer une relation avec eux. » Les parrains et leurs filleuls s’engagent à se téléphoner au moins une fois par semaine et entament ensemble, de manière volontaire, un processus de sortie de l’isolement social et du sentiment d’exclusion, deux données déterminantes dans la récidive. Un rapport du Sénat de 2018 ayant évalué le programme à Valence soulignait que « 20 à 32 % des personnes présenteraient des comportements à risque infractionnel à la sortie du programme, contre 87 % au début ».
Laurent Marchat a répliqué l’expérience depuis un an au Spip de Roanne (Loire), où il dirige la section « milieu ouvert », et celle-ci fait des émules : le Spip de Gironde s’apprête à lancer son premier cercle de parole, les bénévoles et les personnes condamnées ayant été sélectionnés. « Tous nos personnels sont déjà formés à la justice restaurative, se félicite Isabelle Ferrier, directrice de l’établissement. Le parrainage de désistance nous permet de mettre en place un dispositif moins chronophage et moins gourmand en ressources humaines que d’autres procédés de la justice restaurative. On espère que le projet va rapidement prendre de l’ampleur. »