C’est le coup de fil que je redoutais. Entre les devoirs et le repas, le repas et la douche, la douche et le câlin du soir, la sonnerie du téléphone, à cette heure-ci j’en devine le sujet, et la voix fatiguée de la directrice. « Bonsoir, désolée de vous déranger un peu tard, il y a un cas de Covid dans la classe de votre fils, les élèves doivent produire un test négatif avant de revenir à l’école, je vous envoie le protocole par mail. Vous avez des autotests à la maison ? Ça ira pour votre organisation ? Est-ce que quelqu’un peut garder le petit en cas de problème ? » Non, je n’ai personne.
C’est le coup de pression du soir, comment je vais faire pour lui infliger une fois de plus ces fichus tests ? Il va encore pleurer, crier, se débattre, je vais encore parler, rassurer, m’énerver, menacer : « Si tu ne fais pas ce test tu ne peux pas retourner à l’école. ». Il va encore avoir mal, il va encore m’en vouloir, méchante maman et fichu virus ! Si seulement Sophie pouvait s’en occuper, si seulement je pouvais avoir le bon rôle pour une fois, gentille maman qui console avec un gentil câlin. Mais elle ne peut pas.
De toute façon je viens de le coucher, je ne vais pas aller le réveiller maintenant avec un truc dans le nez, ou alors je le fais pendant qu’il dort, c’est peut-être une solution… Mais non, s’il se réveille il va gigoter, ce sera encore pire, et il m’en voudra de l’avoir trahi. Je renonce, je m’en occuperai demain.
C’est l’insomnie inéluctable. Si le petit est négatif, je l’amène tranquillement à l’école en croisant les doigts pour la suite. Mais il finira bien par se contaminer, à l’école, à la garderie, à la cantine ou n’importe où ailleurs. S’il est malade, je devrai rester à la maison, et puis je serai cas contact. Les collègues vont encore jaser, encore un arrêt enfant malade, décidément c’est souvent avec Florine ! Et sa femme, elle peut pas s’en occuper ? Ah ben non, c’est vrai, elle ne peut plus.
C’est la corvée du matin. Deux options : il est négatif et tout va bien, il va à l’école et moi au boulot, ou il est positif et c’est la cata, il reste à la maison et moi avec lui, je suis cas contact, peut-être positive, peut-être malade, et qui va s’occuper de lui, de moi, de nous ? Je pense à Sophie, à la douceur de ses gestes, à sa voix qui sait si bien me rassurer, le consoler, elle prendrait soin de nous, on serait dans un petit nid, on serait bien. Si seulement…
C’est l’attente du matin. Je l’ai réveillé tout doucement, et puis je lui ai dit, cas contact, autotest, il ne voulait pas, j’ai insisté, pas le choix mon petit bonhomme. Il a essayé de négocier : « Mais maman je pourrais rester à la maison, je suis grand maintenant, de toute façon à l’école tout le monde est malade… » J’ai regardé vers la chambre, vers notre lit conjugal où dormait encore ma femme il y a peu. Le lit est vide maintenant, je dors seule et ma femme n’est plus là.
C’est la journée qui recommence. Le petit est négatif, il est à l’école et moi au boulot, et ce soir ce sera comme d’habitude. Lui et moi. Sans Sophie. Parce qu’elle est partie.