Venue de Grande-Bretagne, la campagne « Dry January » semble rencontrer un certain succès dans l’Hexagone, puisque 24 % des Français auraient déclaré y participer en ce début d’année 2022. Depuis la seconde moitié du XIXe siècle, la lutte contre la consommation excessive d’alcool a pris des formes variées, en fonction des publics auxquels elle s’est adressée.
C’est le médecin suédois Magnus Huss qui, le premier, décrit l’alcoolisme comme une pathologie chronique dans un ouvrage publié en 1849. Mais l’histoire de la lutte contre l’alcoolisme commence véritablement au lendemain de la guerre franco-prussienne de 1870, souvent analysée en termes moraux : la défaite de la France, présentée comme le résultat d’un déclin moral et démographique, aurait été causée en grande partie par une consommation d’alcool démesurée. Dans ce contexte, la loi « Théophile Roussel » de 1873 prévoit la répression de l’ivresse publique et donne une impulsion à la création de ligues de tempérance. Pour mener leur combat contre l’alcoolisme, ces ligues s’appuient sur l’école : un enseignement sur les dangers de l’alcool « au point de vue de l’hygiène, de la morale, de l’économie sociale et politique » est intégré aux programmes scolaires en 1895. Des médecins sensibilisent les instituteurs et institutrices par des conférences, tandis que ces derniers introduisent dans les classes affiches et divers supports participant à cette opération. Au même moment, les syndicats patronaux se mettent à identifier l’alcoolisme comme un risque spécifique dans le monde du travail. L’ébriété apparaît comme une cause trop fréquente d’accident. A travers ces campagnes, on s’adresse ainsi essentiellement aux classes populaires, considérées par les hygiénistes français comme les plus concernées par ce « fléau social » : l’ouvrier, accusé de « boire sa paye », doit être rééduqué pour (re)devenir un bon mari, un bon père et un bon citoyen.
L’idée d’une « destruction de la race » causée par l’alcool est réactivée par Pétain dès l’été 1940 : la lutte contre l’alcoolisme doit devenir une des priorités du régime de Vichy. Il s’agit alors d’améliorer la qualité de la population, comme on le dit alors dans les milieux eugénistes, afin de casser la transmission de la « tare alcoolique » identifiée par le personnel accoucheur et de puériculture. Aux côtés des médecins, les démographes commencent eux aussi à s’intéresser à la question à la Libération. Au sein de l’Institut national d’études démographiques est créé par Pierre Mendès France un Haut Comité d’études et d’information sur l’alcoolisme en 1954. Désormais, les discours antialcooliques ne s’adressent plus seulement aux classes populaires, c’est l’ensemble de la population qui est « à risque ». Cette lente évolution du regard sur la consommation d’alcool culmine avec le vote en 1991 de la loi « Evin » encadrant la publicité des boissons alcooliques. Il reste cependant plus facile, dans ce domaine comme dans bien d’autres, de chercher à responsabiliser les consommateurs plutôt que de contraindre fabricants et vendeurs.