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Protection de l’enfance : réunir au lieu de séparer

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Selon l’auteure, elle-même assistante familiale, les parents, les enfants placés et les accueillants gagneraient beaucoup à partager des temps communs, en particulier au moment du placement et avant le retour en famille. Forte de 25 ans d’expérience, elle suggère un mode opératoire concret.

« Je suis assistante familiale et j’accompagne un enfant à la visite médiatisée avec sa mère. Nous sommes en avance et la maman de l’enfant également. Nous nous parlons… La porte d’un bureau s’ouvre brutalement et en sort une éducatrice énervée. Me jetant un regard noir pour avoir dépassé les règles, elle emmène la mère et son fils vers leur rendez-vous.

La pratique courante dans le milieu de l’aide sociale à l’enfance (ASE) – bien que ne figurant dans aucun document – veut qu’il n’y ait pas d’échanges, dans la plupart des cas, entre les assistants familiaux et les membres de la famille des enfants placés. Mes 25 ans d’expérience en tant que famille d’accueil – assistante familiale, comme on dit maintenant – m’ont appris plusieurs choses :

• l’enfant ou le jeune placé perd non seulement ses parents et frères et sœurs, mais aussi ses grands-parents, ses oncles et tantes, ses voisins, ses camarades de classe, son école, son club de sport, sa chambre, son petit déjeuner, son goûter, ses programmes télé, son anniversaire, et j’en passe ;

• les parents, la mère, perdent le contact naturel et sont mis dans une position fautive. Comment alors rétablir leur statut devant leur enfant ? Comment peuvent-ils trouver une posture positive devant nous, les parents d’accueil ?

• les assistants familiaux savent-ils faire mieux qu’eux ? Nous avons également nos faiblesses et commettons des erreurs. Nous-mêmes, si nous avions vécu ce qu’il s’est passé dans cette famille, n’aurions-nous peut-être pas fait mieux !

Et pourtant, le contact entre nous, entre parents et famille d’accueil est déconseillé. Et s’il se produit, par inadvertance, le travailleur social en charge prend peur : les contacts doivent passer obligatoirement par l’assistant social ou l’éducateur.

J’ai grandi aux Pays-Bas, où j’ai été famille d’accueil pendant dix ans. C’est à l’occasion de la découverte des conférences familiales que j’ai compris comment on aurait pu opérer, être plus heureux en tant que famille, assistante familiale, enfants placés et parents. Lors du placement d’un enfant – une décision que personne ne prend à la légère –, on peut amoindrir le risque traumatique en favorisant une rencontre entre la famille et la famille d’accueil en présence de l’enfant et de son éducateur pour prévoir le déroulement du placement : “Qui sommes-nous, nous les personnes qui allons nous occuper de votre enfant ? Quelles questions avez-vous à nous poser ? Et l’enfant ?”

“Nous, nous en avons beaucoup à vous demander : que nous conseillez-vous de faire si jamais votre enfant tombait malade ? Ou que les choses se passent mal à l’école ? Qu’aime-t-il avant de se coucher ? A-t-il des préférences ? Que voulez-vous savoir de nous ? De notre façon d’organiser la vie quotidienne ? Comment rester en contact ?”

Si les visites médiatisées sont nécessaires, il demeure des moyens de rester en relation. L’idée, dès le début d’un placement, consiste à rechercher ce qui va bien et à encourager les liens, compétences et ressources existantes. La confiance en l’autre et le désir commun d’un placement qui se passera au mieux pour l’enfant et ses parents doivent être affirmés. Et les résultats sont là : moins de stress chez tous les participants ; le service social peut exprimer en toute transparence les règles de communication ; l’enfant constate que tous sont présents pour son bien-être ; le conflit de loyauté a des chances d’être évité ; le mal-être des parents et de la famille d’accueil se réduit, et une forme de coopération est possible entre les parents, la famille d’accueil, l’enfant et le service social.

Cercle et bâton de parole

Et pourquoi ne pas répéter le même rituel pour préparer le retour dans la famille ? Qu’est-ce qui a changé et se passe bien dorénavant ? Quelles ont été les compétences développées ? Le comportement de l’un ou de l’autre pose-t-il encore des problèmes ? Comment soutenir ce qui est positif ? Quelles compétences sont nécessaires pour travailler sur les points qui demeurent non satisfaisants ? Qui fait quoi, et quand ?

Je pense à une réunion en forme de cercle sans table au milieu, en utilisant un bâton de parole. Pour indiquer qu’il s’agit d’un moment spécial, il convient de sortir de sa routine. Le cercle concrétise une approche inclusive et sans hiérarchie : chacun a autant de valeur et fait partie du groupe. La prise de décision au travers d’un cercle tente de répondre autant que possible aux besoins de tous les participants. Un cercle vise la contribution et le consensus de chaque participant, ce qui ne signifie pas nécessairement la pleine satisfaction, mais chacun peut au minimum accepter les engagements et vivre avec.

Mon expérience m’amène à suggérer le mode opératoire suivant pour une telle réunion : il incomberait au travailleur social qui conduit un jeune dans une famille d’accueil d’organiser ce temps au moment où le jeune et la famille font connaissance. Il souhaite la bienvenue à cette réunion dans la maison de l’assistante familiale, se présente puis remercie chacun d’être venu. “Lors de cette réunion, nous allons discuter de la meilleure façon d’accueillir Brigitte pour chacun d’entre nous, dont toi, n’est-ce pas Brigitte ? Nous avons une heure devant nous. Cela vous convient-il ? Nous établirons un plan d’action dans lequel ne figureront que les accords partagés par chacun.”

La prise de parole est symbolisée par la détention du “bâton de parole” : personne n’interrompt celui qui parle, il n’y a pas d’obligation de parler, on peut passer son tour. Après avoir vérifié l’accord de chacun, plusieurs tours de cercle suivent :

• le premier tour : “Quel est votre nom, votre relation avec Brigitte, et voulez-vous être tutoyé ou vouvoyé dans ce cercle ?” ;

• le deuxième tour : “Pouvez-vous nommer une qualité de Brigitte ? Vous commencez par Brigitte et terminez par elle avec la question : “ont-ils oublié quelque chose, Brigitte ?” Rédiger les informations recueillies dans un document ;

• le troisième tour : “Brigitte, de quoi as-tu besoin pour te sentir bien dans cette famille d’accueil ?” En fonction de ses réponses vous continuez ainsi : “Es-tu d’accord pour que je pose cette question à tous les participants ?” Si elle ne l’est pas, vous précisez : “Dans ce cas, je vais leur demander ce dont ils ont besoin pour qu’ils se sentent bien avec cet accueil.”

Et vous demandez : “De quoi avez-vous besoin pour accepter, voire apprécier, l’accueil de Brigitte ici ? Et de quoi Brigitte a-t-elle besoin d’après vous ?”

Et à la famille d’accueil : “De quoi avez-vous besoin ? Que voulez-vous savoir pour vous organiser au mieux ?” A partir de cet instant, la famille d’accueil commencera sans doute à donner des réponses aux uns et aux autres et un échange sans bâton de parole pourra se développer. Le travailleur social notera les idées et demandes et établira un plan d’action. Il pourra émettre les besoins de son service et exprimer ses propres idées pour réaliser au mieux son accompagnement ;

• le dernier tour de cercle consiste en l’approbation des accords et s’achève par une dernière question : “Comment avez-vous vécu ce cercle ? Dans quel état d’esprit le quittez-vous ?”

On prend au sérieux et on fait confiance. Alors on peut aussi la recevoir en retour et on crée de l’espoir. L’espoir est un moteur inégalable ! Sans espoir, l’homme se met rarement en situation de changement. Les acteurs sur le terrain peuvent améliorer la vie des enfants placés, réduire la souffrance des frères, sœurs et parents et ainsi faciliter l’amélioration de la qualité du travail des parents d’accueil et celui des éducateurs. Comme l’affirme Martine Noordegraaf, pédagogue, maître de conférences aux Pays-Bas : “Coopérer avec les parents semble la méthode la plus efficace pour réussir un placement” et cette coopération commence au moment du placement.

Notes

(1) La conférence familiale permet à la personne ou à la famille de poser les difficultés et de choisir, avec ceux qui lui sont proches, les ressources à mettre en œuvre pour leur résolution. Expérimentée dans plusieurs départements, le Haut Conseil du travail social la considère comme une des principales pratiques émergentes.

Contact : www.questiondejustice.fr

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