Au Salvador, le projet de réforme de la loi sur l’avortement, pourtant timide, a été largement rejeté par le parlement en octobre dernier. Proposé par des associations de défense des droits des femmes, il prévoyait la dépénalisation de l’avortement pour seulement trois cas : lorsque la vie de la future mère est en danger, si le fœtus s’avère non viable et en cas de viol d’enfant, d’adolescente ou de femme. Mais, pour la quatrième fois depuis 1988, le Congrès du plus petit pays d’Amérique centrale, rongé par les inégalités et la violence des gangs, a décidé de rester dans le « club des quatre » qui interdisent l’avortement quelles que soient les circonstances, avec le Nicaragua, le Honduras et la République dominicaine.
Certains députés ont même proposé de durcir encore une législation qui prévoit des peines allant jusqu’à cinquante ans de prison quand les magistrats qualifient l’opération d’« homicide aggravé ». Selon Amnesty International, les juges n’hésitent pas à retenir le « crime » et ses circonstances aggravantes en cas de fausse couche, à l’unisson d’une classe politique qui compare l’avortement, à l’instar de certains radicaux religieux en France ou aux Etats-Unis, à un « génocide » silencieux. La routine des condamnations prévoit des peines d’emprisonnement allant de deux à huit ans et le personnel soignant, en cas de complicité, risque quant à lui jusqu’à douze ans d’incarcération. Sans surprise, la dureté de la législation en vigueur n’empêche pourtant pas les avortements clandestins, et plus de 10 % des femmes et jeunes filles les ayant pratiqués sont mortes des suites de l’opération, d’après l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Toujours selon Amnesty International, « pour mettre fin à leur grossesse, les femmes utilisent surtout des méthodes telles que l’ingestion de mort-aux-rats ou d’autres pesticides, l’introduction d’aiguilles à tricoter, de bouts de bois ou d’autres objets pointus dans le col de l’utérus, ou l’ingestion de misoprostol, un médicament pour le traitement des ulcères désormais utilisé pour avorter ».
Malgré ce climat délétère, la société civile tente de se mobiliser pour faire évoluer la mentalité des classes dirigeantes, quand la majorité de la population se déclare favorable dans les sondages à une législation plus progressiste. A la fin décembre 2021, trois femmes ayant passé respectivement six ans, huit ans et treize ans derrière les barreaux ont ainsi été libérées grâce au combat opiniâtre de plusieurs associations luttant pour le droit à l’avortement. Elles « ont vu leur peine commuée », a annoncé Morena Herrera, une responsable de l’Association citoyenne pour la dépénalisation de l’avortement au Salvador, citée par l’Agence France Presse (AFP), alors que les trois femmes avaient été condamnées pour des faits qualifiés d’« homicides involontaires aggravés ».
« C’est une joie pour nous tous qui nous sommes battus pour la libération de toutes les femmes qui ont été injustement emprisonnées pour avoir souffert d’urgences obstétriques en vertu de cette loi inhumaine », a ajouté Morena Herrera, même si 14 femmes croupissent encore dans les geôles salvadoriennes pour le même « crime ». Dans ce pays de 7 millions d’habitants, près de 25 000 femmes se retrouvent enceintes après avoir été violées, alors que les meurtres atteignent des niveaux dignes d’une guerre civile : en 2017, le taux d’homicides y était de 61 pour 100 000 habitants, contre 1,2 en France. Selon l’organisation Oxfam, le Salvador est aussi l’un des pays les plus inégalitaires du monde, avec près de 87 % des richesses concentrées entre les mains de quelques dizaines de multimillionnaires.