Virginie est infirmière à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Lors de la première vague de Covid-19, une de ses collègues a dormi dans sa voiture pendant plusieurs semaines pour être opérationnelle le plus rapidement possible auprès des patients. Depuis, écœurée par le manque de considération à l’égard de la profession, elle a remisé sa blouse blanche au vestiaire pour partir vers d’autres horizons.
En colère, les travailleurs sociaux le sont aussi. Ils étaient des milliers, le 7 décembre dernier, à crier leur ras-le-bol à travers toute la France. Le 11 janvier, professionnels du sanitaire, du social et du médico-social se sont retrouvés pour battre le pavé. Les primes du Ségur, concédées aux uns et pas aux autres, n’ont pas suffi à calmer les esprits. D’un côté et de l’autre, les revendications restent inchangées : redonner du sens à leur métier et pouvoir continuer à l’exercer dignement.
Bien qu’exacerbés par la crise sanitaire, ces mouvements n’ont rien de nouveau. La casse de l’hôpital public a commencé voici plus de vingt ans et les soignants sont régulièrement descendus dans la rue pour exprimer leur désarroi. L’exaspération des professionnels de l’action sociale est également récurrente, mais elle s’amplifie.
Car ce qui se profile dans ce secteur ressemble à ce qui s’est produit dans la santé. Les politiques publiques ont exigé que l’hôpital soit géré comme une entreprise privée et qu’il soit donc rentable. La même idéologie néolibérale prévaut désormais dans le travail social. Mais tout comme il est impossible de réaliser des profits avec des malades – sauf à supprimer des lits –, il est inconcevable de dégager des bénéfices avec les personnes accompagnées. Elles qui, justement, nécessitent davantage d’aide. Cette fameuse société du « care », sur toutes les lèvres au début de la pandémie mais que, bizarrement, plus personne ou presque n’évoque aujourd’hui.
Et pourtant c’est bien vers la privatisation du secteur social et médico-social que tout converge. Baisse des subventions, sous-effectifs, standardisation des prises en charge, burn-out … La logique de marché se développe et, avec elle, les appels à projets, la concurrence, l’offre, la prestation. Aux côtés de cette novlangue, la relation humaine, l’accompagnement, le soin font figure de « has been ».
Les professionnels, des éducateurs spécialisés aux assistants de service social en passant par les conseillers en insertion, ne cessent de manifester leur inquiétude. Personne ne semble les entendre. Comme personne n’a entendu l’appel au secours des soignants dans le monde d’avant. Bis repetita.