Ces derniers mois, la mise en œuvre de la réforme de l’assurance chômage a réactivé des débats anciens sur les seuils qui permettent de prétendre à l’attribution d’une allocation, et au montant de celle-ci. Mais quand et comment la notion de chômage a-t-elle été définie et codifiée ?
Jusqu’à la fin du XIXe siècle, le chômeur est souvent confondu avec l’indigent. La frontière avec le vagabond est également poreuse. Le verbe chômer signifie alors « ne pas travailler », par exemple à l’occasion d’une fête religieuse. Par extension, il désigne aussi l’absence de travail, choisie ou forcée, à cause notamment du manque d’emplois. Car il n’est pas rare, durant les premières décennies de l’industrialisation, de connaître des périodes de non-travail, le rythme de l’emploi étant calé sur les besoins ponctuels de tel ou tel secteur. On parle ainsi de « morte saison » dans l’habillement. Le salariat régulier n’est pas encore la norme.
C’est la crise économique qui, dans les années 1880, fait émerger les termes de « sans travail » dans le mouvement syndical et socialiste, afin de distinguer l’ouvrier mis à l’écart du marché du travail en raison de la conjoncture et nécessitant une aide pour subvenir à ses besoins. A la même époque, le projet de dénombrement des chômeurs formulé par le ministère du Commerce et de l’Industrie se heurte à l’absence de consensus sur la définition du chômage. L’Office du travail, créé en 1891, joue alors un rôle dans la production de statistiques. En 1896, son recensement fixe des seuils permettant de saisir la réalité du chômage : les critères d’âge (inférieur à 65 ans) et de durée de suspension de travail (inférieure à un an) servent à séparer chômeurs et « sans profession ». L’observation ne concerne que les salariés et se fonde sur une approche par les causes : « morte-saison ordinaire », « maladie ou invalidité », « manque accidentel d’ouvrage ». Cependant, faute de pouvoir recueillir des données fiables, on revient jusqu’en 1936 à une définition générale du chômage, englobant toute suspension temporaire de travail.
Un des enjeux réside dans la possibilité de comparer la situation de la France avec celle des autres pays. La création en 1885 de l’Institut international de statistique participe à la réflexion sur les catégories utilisées par l’administration. Au tout début du XXe siècle, l’économiste français Max Lazard s’appuie sur un réseau de réformateurs sociaux pour créer l’Association internationale pour la lutte contre le chômage, active jusqu’en 1914. Puis l’Office international du travail (le futur BIT), instauré en 1919, joue un rôle décisif dans la fixation de critères de mesure du chômage. La codification du chômage, entreprise il y a plus d’un siècle, a donc permis de faire de la régularité du travail une norme sociale, tandis que le salariat s’imposait. Face à son évolution rapide, la récente réforme du chômage semble offrir une réponse incomplète et insatisfaisante.